Pour une francophonie littéraire

Couverture du n°40 de la revue L'Atelier du romanLe texte qui suit, sous la forme de quatre thèmes, est destiné à susciter un dialogue dans les pages de la revue sur le rôle du français dans le monde d’aujourd’hui et, plus particulièrement, en Europe.
Cette initiative émane de quelques amis et collaborateurs.
Il s’agit dans un premier temps de faire participer à ce dialogue le plus grand nombre de personnes intéressées par la langue française et la physionomie culturelle de l’Europe. Le but de ce dialogue est d’aboutir, dans deux ans environ, à la création d’une Association. Cette Association, complètement indépendante de L’Atelier du roman, pourrait amplifier le dialogue et prendre d’autres initiatives concernant le français.

 

Le français, langue d’une civilisation

Sous un angle purement historique, on peut considérer que, dans la perspective de la civilisation occidentale, c’est le français qui succède au grec et au latin dans le rôle de la lingua universalis. Certes, le français n’a jamais pu égaler l’universalité du grec et du latin. Mais ce qui peut paraître une faiblesse est, en fait, une force: grâce au français, commence à se mettre en place un nouvel «universalisme» linguistique inconnu des Grecs et des Romains. Depuis le début des Temps modernes, aucune autre langue nationale n’a peut-être autant puisé aux différents patrimoines linguistiques que le français. Géographiquement et culturellement, les racines du français se prolongent dans la plus grande partie de l’Europe actuelle. L’universalisme du français n’est donc pas à chercher du côté de l’expansion et de la domination mais du côté de l’immense brassage linguistique dans lequel se reconnaissent encore aujourd’hui ses multiples composantes. Avec l’avènement du français (xiie-xvie siècles) un tournant s’opère dans l’histoire de notre civilisation : on passe du modèle d’un support linguistique homogène (le grec et le latin) à un modèle composé et hétérogène, modèle désormais commun à toutes les langues européennes.

Diversité culturelle

C’est désormais devenu un topos: Europe égale diversité culturelle. Noble slogan, susceptible d’enflammer tous les hommes de bonne volonté. Cependant, slogan complètement inutile étant donné que c’est en son nom que progresse souvent la marchandisation tous azimuts des biens culturels. La faute n’est pas à chercher du côté des mots. C’est l’esprit de toute une époque qui est en cause. En effet, le sens de la diversité culturelle est simple et clair. Diversité signifie créativité, antagonisme permanent entre valeurs culturelles et hiérarchie des œuvres.
La fameuse, par exemple, «exception française» – qui prête à tous les malentendus et qui, défendue par la seule nation française, risque de se voir réduite en activité narcissique – est le résultat du travail des siècles. Ce sont les écrivains et les hommes de lettres français en premier lieu qui ont créé cette exception culturelle. Leur fierté est pleinement justifiée. Dès lors nous avons tous intérêt à soutenir et à fortifier cette «exception» et, bien entendu, toutes les «exceptions» du monde. Il vaut mieux avoir de bons exemples à imiter que de persévérer dans l’idée que notre appartenance culturelle seule suffit à nous rendre signifiants. Diversité culturelle ne signifie pas que chacun a droit à sa culture mais que chacun doit aspirer à la meilleure culture.

Le français, langue essentielle pour l’Europe

De la même façon que les petites nations ont aujourd’hui besoin d’être intégrées dans des ensembles économiques et politiques plus vastes afin d’assurer leur survie, les langues dites minoritaires doivent renforcer leurs liens avec les langues majoritaires, des langues avec lesquelles elles ont des attaches profondes et des affinités historiques et culturelles.
Se préoccuper de la langue française, à partir d’une autre langue européenne, c’est participer au renforcement de la physionomie de l’Europe. L’Europe ne survivra politiquement et historiquement que dans la mesure où elle ne se défigurera pas culturellement.

Francophonie historique et francophonie littéraire

Un monde multipolaire est inconcevable sans la multipolarité culturelle et linguistique. En ce sens, et vu les tendances actuelles vers une mondialisation égalisatrice, la francophonie historique aura toujours sa place et sa raison d’être, comme, d’ailleurs, toute autre langue du monde entier. Sauf que, formée historiquement, cette francophonie sera, d’une certaine manière, toujours subordonnée aux enjeux géolinguistiques et géopolitiques du moment. Cependant, les liens affectifs à une langue peuvent-ils se définir seulement par rapport à ces enjeux-là? Comment faire pour que l’intérêt vis-à-vis du rayonnement du français à travers le monde entier ne s’interprète pas automatiquement comme un appui à la politique d’une nation ou d’un groupe de nations? Probablement en insistant sur le fait que cet intérêt est avant tout et surtout littéraire. Il n’émane pas de tel ou tel État, de telle ou telle institution. Il est le résultat de la volonté des hommes et des femmes libres qui croient à la vivacité, la créativité et la valeur universelle du français.

Bien entendu, d’autres thèmes surgiront durant le dialogue. Ce qui importe, pour le moment, est de souligner que les valeurs littéraires participent d’une manière essentielle à la vie d’une langue et que tous ceux qui croient à ces valeurs, écrivains, critiques et lecteurs de différents pays du monde entier, ont leur mot à dire et peuvent aspirer à une action en commun afin que ces valeurs continuent à jouer leur rôle.

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