L'Atelier du Roman n° 115
Leo Perutz – Sous le signe du merveilleux
C’est surtout aujourd’hui qu’il faut relire ou lire le romancier autrichien Leo Perutz (1882 – 1957). Il a connu les deux grands désastres de l’Europe. Le premier, dans les tranchées, comme soldat. Le deuxième, comme exilé à cause de ses origines juives. Toutefois ses romans ne sont pas ceux ni désespérés ni ceux d’une victime de l’Histoire. Quoique profondément pessimiste quant au sort de l’Europe, quoique profondément sceptique quant aux capacités de l’homme de résister au Mal, son humour, son cosmopolitisme et son insatiable désir de se réinventer, font de lui un romancier parmi les plus grands du XXe siècle.
D’ailleurs, ce n’est pas du tout un hasard si Perutz rencontre dans ce numéro quelques-uns de ses illustres confrères, comme Boulgakov, Céline, Kundera et Carpentier.
Sommaire
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SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 115
Leo Perutz – Sous le signe du merveilleux
SOMMAIRE
Ouverture
Thierry Gillybœuf, L’ironie du sort
Lenka Hornakova-Civade, Une invitation pour La Nuit sous le pont de Pierre
Stéphane Kerber, Citizen P.
Philippe Claudel, L’enfant qui dort
Raphaël Arteau Mcneil, La narration menottée
Manuel Candré, Où roules-tu, petite pomme ?
Marc Cerisuelo, L’atelier du scénario – Le Cosaque et le rossignol
JosephSoletier, Comment peindre un sourd ?
Jean-Paul louis-Lambert, La désagréable, burlesque et tragique journée d’un homme désagréable – Le Tour du cadran
Nunzio Casalaspro, L’un pour l’autre
Jean-Pierre Chassagne, Entre éros et thanatos
Cyril de Pins, Le fantastique mélancolique de Leo Perutz
Lakis Proguidis, Le roman de l’Histoire
Dates et œuvres
À la une : Boniface Mongo-Mboussa
Critiques
Guy Scarpetta, Milan Kundera (entretien avec Muriel Steinmetz)
Nunzio d’Annibale, Et soudain Céline...
Raphaël Arteau Mcneil, Le jambon de Montaigne et le diable de Boulgakov
Laurent LD Bonnet – Lakis Proguidis, Être personne (entretien autour du roman de Laurent Bonnet, Le Dernier Ulysse)
À la une : Yannick Roy
De près et de loin
Reynald Lahanque, Le quart d’heure de lecture national et autres joyeusetés
Karel Čapek, Comment on fait une littérature universelle
Alexandre Prieux, Cinq Noèmes
À la une : Marion Messina
Au fil des lectures
Massimo Rizzante, La modernité d’Alejo Carpentier Ouverture
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OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 115
Leo Perutz – Sous le signe du merveilleux
Ce n’est pas un hasard si, en ces temps troubles pour l’Europe, L’Atelier du roman consacre un numéro à Leo Perutz (1882 – 1957), ce grand romancier centre-européen qui a essuyé par deux fois les revers de l’Histoire. Pendant la Première Guerre mondiale il a été gravement blessé sur le front de l’Est. Et puis, en 1938, à cause de ses origines juives, il fut obligé de s’exiler en Palestine. Pourtant, son œuvre n’est ni celle d’un désespéré ni celle d’une victime. Inventif, prolixe, inclassable et toujours sceptique, Leo Perutz a su opposer à l’Europe ravagée par ses conflits qu’on dit inéluctables, son Europe romanesque, plus belle celle-ci que l’autre, sinon plus vraie.
Je tiens à remercier Stéphane Kerber pour son aide à la préparation de cet hommage à Perutz.
Cosmopolite, humaniste, farouchement anti-nationaliste, polyglotte, grand voyageur et esprit à la fois scientifique (études en mathématiques) et littéraire, Leo Perutz a embrassé avec ses romans les cinq derniers siècles de l’histoire européenne. Une histoire avec ses hauts et ses bas. Avec ses embrasements fratricides, mais aussi avec ses surprenantes conquêtes dans le domaine de l’art et de la pensée. Chaque roman de Perutz est différent. Tant en ce qui concerne la composition et l’époque que le genre. Mais tous sont le fruit du même génie romanesque.
Personne mieux que Perutz n’a su marier l’humour avec le scepticisme le plus profond quant au sort de notre civilisation.
Le temps consacré à la lecture des œuvres littéraires diminue comme peau de chagrin. Que faire ? Essayons, au moins, de réfléchir sur les causes (Reynald Lahanque).
Durant toute sa vie, Kundera s’était farouchement opposé à la politisation de son œuvre. Maintenant, après sa mort, le démon de la politisation a le champ libre. D’où la nécessité de revenir sans cesse (dans ce numéro, Guy Scarpetta) sur les aspects esthétiques et la nouveauté artistique de cette œuvre.
Puisque nous devons à tout prix nous débarrasser des stéréotypes, cessons de croire que c’est à nous d’estimer la valeur des œuvres du passé. C’est le contraire qui est vrai. Ce sont ces œuvres qui nous regardent et commentent nos jours et nos travaux. Quelques exemples : Tolstoï (Marion Messina), Céline (Nunzio d’Annibale), Boulgakov (Raphaël Arteau McNeil), les grands poètes africains (Boniface Mongo-Mboussa) et Carpentier (Massimo Rizzante).
Le lecteur de langue française, que l’on sait frileux, ne se hasarde hors de son monde familier qu’avec de solides garanties. Veut-on l’entraîner vers l’Ailleurs ? Qu’on daigne l’assurer d’abord qu’il y trouvera son confort : qu’on lui promette, par exemple, la découverte de tel cousin étranger de Balzac ou de Proust (il en existe quelques-uns ici et là, pour sa plus grande satisfaction). Il accepte même de s’aventurer jusqu’à l’exotisme radical, pourvu qu’on lui fournisse des repères commodes : il est arrivé à la littérature latino-américaine par le truchement rassurant de Borges, cet exilé de la vieille Europe ; et il lit encore les Mille et une Nuits dans des versions taillées sur mesures pour les dames de la cour de Versailles ou pour les dandies de la Belle Époque.
J.-P. S., préface au Judas de Léonard, de Leo Perutz, Phébus, 1987.
Dans les années vingt du siècle dernier, Karel Čapek aimerait voir la littérature de son pays s’ouvrir au vaste monde. À chaque époque ses ambitions : un siècle plus tard, au Québec on n’aspire qu’à cultiver l’idiotie locale (Yannick Roy). Ça s’exporte bien sûr. Comme toute marchandise.
À part le fait que les grandes œuvres du passé nous jugent, elles persistent à nous inspirer. Exemple surprenant, Le Dernier Ulysse de Laurent LD Bonnet, qui a eu la gentillesse de s’entretenir avec celui qui signe.
Agenda 2024. Mars, «Lire et relire Rabelais» (fruit de notre deuxième rabelaisiade à Chinon); juin, «Simenon»; septembre, «Quelle est la langue de notre pays?» ; décembre, «Fellini – un cinéaste parmi les écrivains et vice versa ».
«Le mythe individualiste est un mythe faible, le plus faible, le plus inquiet des mythes», écrit Alexandre Prieux dans ses «Noèmes». Sans y penser, sans connaître la matière du présent numéro, il a résumé tout l’art de Leo Perutz.
Le dialogue esthétique a toujours lieu par-delà le temps et l’intelligence.
La revue Europe vient de fêter ses cent ans. Félicitations ! Un siècle durant lequel on a fait coïncider le mot et la chose, cela tient du miracle.
L. P.