L'Atelier du Roman n° 102
Karel Čapek – Le roman du progrès
Ce numéro est consacré à Karel Čapek, la troisième grande figure des Lettres tchèques, à côté de Kafka et de Hasek. Aujourd’hui, concernant ses œuvres, on parlerait de dystopies, de science fiction et de littérature d’anticipation. Cependant, Čapek est plus que tout ce qui peut être désigné par ces termes. Sur fond d’un mixage unique et inimitable de tendresse et d’humour, il est le scrutateur de l’âme moderne ballottée entre ses utopies humanistes et ses pulsions on ne peut plus égoïstes et irresponsables. Dans le reste de la matière, parmi les critiques d’hier et de nos jours, les chroniques et les nouvelles – comme toujours illustrée par les dessins humoristiques de Sempé –, signalons la traduction d’un texte de Čapek sur la langue tchèque.
Sommaire
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SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 102
Karel Čapek – Le roman du progrès
SOMMAIRE
Ouverture
Karel Čapek – le roman du progrès
Jan Rubes, Une journée ordinaire
Slobodan Despot, «Je n’ai pas voulu mentir»
François Taillandier, Le magicien connaît-il ses trucs?
Thierry Gillybœuf, Čapek voyageur ou la nostalgie de l’Europe
Raphaël Arteau Mcneil, La tragédie propre et planifiée
Mehdi Clément, La «solastalgie» de Povondra
Bernard Quiriny, Un Tchèque en Angleterre
Linda Lê, Les vies imaginaires de Karel Čapek
Joël Roussiez, La légèreté de l’être romanesque
Nunzio Casalaspro, Karel Čapek ou la nostalgie
Lakis Proguidis, Où sont les plaisirs d’antan?
Sylvie Richterova, «J’accuse la science, j’accuse la technique»
Dates et Œuvres
À la une:
Yves Lepesqueur
Critiques
Olivier Rey, Thomas Zins, Céline Schaller et leurs enfants – Sur Le Triomphe de Thomas Zins, de Matthieu Jung
Yannis Kiourtsakis, Quand la forêt demande justice – À propos d’Athos le forestier, de Maria Stéfanopoulou
Massimo Rizzante, Ce regard attentif qui se pose sur l’inoubliable – Sur Que chaque chose trouve sa place, de Sylvie Richterová
Didier Castelan, La noblesse de l’être – Sur La Beauté sur la terre, de Charles-Ferdinand
Ramuz Francesco Forlani, L’anecdote est la vie: Petr Král
De près et de loin
Karel Čapek, Éloge de la langue tchèque
Patrice Jean, Le roman et les idées
À la une:
Boniface Mongo-Mboussa les cahiers de l’atelier
Jan Čep, Le secret de Klara Benda
Jean-Philippe Sedikhi, Point de chute
Au fil des lectures
Marek Bie´nczyk, Occuper le temps Ouverture
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OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 102
Karel Čapek – Le roman du progrès
Depuis le temps que le rationalisme technologique mène la danse du progrès, les écrivains n’ont pas manqué qui, penchés plutôt sur les conséquences sociales et anthropologiques de cette anomalie historique, ont imaginé le pire. Dans cette confrérie, Karel Čapek (1890-1938) est un cas à part. Ce qui l’intéresse en priorité, ce sont les retombées de la croyance dans le progrès sur la vie des hommes. Ce qui le motive comme artiste, ce sont les implications existentielles de la déification du progrès. C’est dans ce sens que nous pouvons qualifier l’ensemble de son œuvre comme le Roman du progrès.
« Et tous les critères qui servent à couper non pas verticalement mais horizontalement restent encore valables. » C’est par ces mots que Marek Bie´nczyk termine sa chronique. En d’autres termes, si je ne trahis pas sa pensée, le dépassement des œuvres artistiques accomplies jadis, dépassement toujours souhaitable, toujours salutaire, ne doit pas être « vertical », ne doit pas être compris comme dévalorisation et rejet du passé. Dès leur parution au grand jour, les œuvres majeures entament leur vie « horizontale ». Une vie dorénavant inscrite dans le temps qui va.
Karel Čapek est, à côté de Kafka et de Hasek, la troisième grande figure des Lettres tchèques de la première moitié du xxe siècle. Il est aussi, dans le monde entier, l’un des rares écrivains à parodier le scientisme omniprésent et tout-puissant de notre époque. Sa littérature, constamment traversée par l’humour et la méfiance envers toutes les utopies, se constitue – hormis les pièces de théâtre et les romans – de contes, de nouvelles, de récits de voyage, d’essais d’esthétique et d’écrits politiques.
Je tiens à remercier Jan Rubes, Samuel Bidaud et Ibolya Virag pour leur aide à la préparation de ce numéro.
Face aux prouesses aussi surprenantes qu’inquiétantes des patrons de la Silicon Valley, le rire de Karel Čapek est d’utilité publique. Cela donne à réfléchir sur l’homme qui, de « maître et possesseur de la nature », risque de devenir l’esclave de la machine.
L’optimisme des uns sera le pessimisme des autres et la conviction d’un effondrement inévitable encore un optimisme dont le pessimisme serait que tout reprendrait à continuer en économie de guerre avec sa discipline interne, ses punitions collectives au besoin, ses contrôles biométiques, à se poursuivre ainsi en appauvrissement de la vie et de ses possibilités durant qu’à l’extérieur l’Âge du feu parcourt le globe.
Baudouin de Bodinat, Dernier Carré, no 5, juillet 2020.
L’art ne progresse pas. Horizontalement, ou contrapunctiquement, ou dialogiquement, il se dévoile. D’où, de numéro en numéro, nos incessants va-et-vient entre le présent et le passé. Ici, du Triomphe de Thomas Zins de Matthieu Jung (Olivier Rey) à La Beauté sur terre de Charles-Ferdinand Ramuz (Didier Castelan) et d’Athos le forestier de Maria Stéfanopoulou (Yannis Kiourtsakis) au Secret de Klara Benda de Jan Čep et de Que chaque chose trouve sa place de Sylvie Richterová (Massimo Rizzante), aux revues historiques (Boniface Mongo-Mboussa) et aux trésors des églises bretonnes (Yves Lepesqueur), en passant par l’interrogation esthétique (Patrice Jean) et les embrouillaminis de la vie moderne (Jean-Philippe Sedikhi).
Il serait probablement très difficile de trouver un autre dessinateur pour accompagner le rire trop humain de Čapek que Jean-Jacques Sempé.
Petr Král fut l’ami et le collaborateur de L’Atelier du roman. Il est mort à Prague en juin de cette année. L’article de Francesco Forlani lui est dédié.
L’art ne progresse pas. « Science sans conscience c’est la ruine de l’âme », disait le géant Rabelais il y a quatre cent quatre-vingt-huit ans.
L’œuvre de Čapek est plus qu’actuelle, elle est belle. C’est par sa beauté qu’elle nous interpelle, qu’elle nous amène à la connaissance, qu’elle, comme toute vraie création, nous libère des meules de l’optimisme et du pessimisme.
L. P.