L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
Danilo Kiš (1935-1989) est l’un des plus grands écrivains du XXe siècle qui continue d’être, malheureusement, très peu connu. Dans ce numéro nous sommes réunis pour parler exclusivement de son œuvre. Nous sommes trente et de plusieurs pays. Nous n’avons qu’un désir: voir enfin Danilo Kiš reconnu du grand public. Non seulement par souci de justice; il y a tant de grands écrivains injustement oubliés… Sauf que Kiš nous est nécessaire. Car son œuvre, déployée sur fond de l’expérience du nazisme et du communisme, parle d’un mal qui ronge la conscience européenne depuis un siècle, d’un mal qu’aucune victoire sur les champs de bataille n’arrivera à dissiper. Peut-on le dissiper par l’art? La voix de Kiš n’est pas celle d’un guide ou d’un prophète. C’est la voix de la création. C’est la voix du beau, la voix qui illumine l’esprit dans le brouillard du monde qui nous entoure. Brouillard de plus en plus épais du fait d’une production littéraire mise au service de la victimisation. Dans ce sens, l’œuvre de Kiš est actuelle plus que jamais.
Sommaire
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SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
SOMMAIRE
Ouverture
Guy Scarpetta, Réflexions éparses sur (et autour de) Danilo Kiš
Ilma Rakusa, Écrire contre l’évanescence – Danilo Kiš et son art du Non omnis moriar
Filip Čolović, Kiš et moi ou Des raisons intimes pour écrire le roman Une comptine pour Andréas Sam
BožidarStanišić, L’écrivain sur le banc des accusés – Notes sur La Leçon d’anatomie, de Danilo Kiš
Mark Thompson, L’empreinte de Beckett
Viktórija Radičs, Pourquoi il faudrait que je lise Kiš encore plus attentivement
Christian Salmon, Guerre au kitsch !
Aleksandar kostić, Les variations de Kiš sur le thème de la rencontre entre la vie et la littérature – de La Mansarde à l’Encyclopédie des morts
Adrian Mihalache, La lecture : ennemi de l’écriture ?
Reynald Lahanque, Biographies brisées
Danilo Kiš, Homo poeticus malgré tout
Massimo Rizzante, Du début à la fin : comment donner l’essentiel d’une existence ?
Katharina Wolf-Grießhaber, Une bombe de la grosseur d’un mot
Norbert Czarny, Des tombes vides
Denis Grozdanovitch, Le petit garçon et l’archange du grand sommeil
Muharem Bazdulj, La vie littéraire après la mort
Sylvain Prudhomme, Rien ne sera oublié
Simona Carretta, Le même et l’autre
Slobodan Šabeljić, Mon ami Danilo
Joël Roussiez, Renoncer à la cohérence – Une esthétique pour Sablier
Ivana Velimirac, Quelques fragments sur Danilo Kiš
Danilo kiš, Conseils à un jeune écrivain
Antonio Muñoz molina, Le fabulateur et le témoin
Miljenco jergović, Le vol de l’Encyclopédie des morts – « Il est glorieux de mourir pour la patrie », une lecture
John Cox, Une fondation pour tout – La confession d’un admirateur à peine caché de Danilo Kiš
Olivier Maillart, Sonate de spectres – À propos d’Un tombeau pour Boris Davidovitch
Davor Beganović, Suum cuique – Le combat de Danilo Kiš pour le droit et la justice
Éric Naulleau, Un tombeau pour Danilo Kiš
Jean-Pierre Morel, La mille et unième fois
Midhat kurtović, Qu’avons-nous appris d’Un tombeau pour Boris Davidovitch ?
Baptiste Arrestier, Rien n’est plus réel que la fiction – Réflexions sur le scandale Danilo Kiš
Lakis Proguidis, L’antenne de l’espèce
........ Dates et œuvres Ouverture
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OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
Plus le temps passe, plus Danilo Kiš devient actuel. Nous lui avons consacré notre huitième numéro en automne 1996. Maintenant nous revenons. Plus nombreux et de plusieurs pays. Pour continuer de parler de l’un des plus grands écrivains du xxe siècle. Et nous en reparlerons encore, certainement. Car son œuvre illumine le parcours de L’Atelier du roman depuis sa fondation.
Voici le début de notre « Ouverture » de 1996 :
Dans mon cas, les choses sont en fait très simples. Je suis avant tout un écrivain européen, car la Yougoslavie, pays dont je viens, fait partie de l’Europe, de sa culture et sa littérature sont européennes. Au sens plus étroit, cependant, je me sens redevable à l’Europe centrale : le milieu hongrois dans lequel j’ai passé mon enfance, la connaissance de la langue et de la littérature hongroises ont eu, en fin de compte, une influence déterminante sur moi. Je suis donc passé, au sens spirituel, de la Yougoslavie à l’Europe centrale. D’où le fait que le patrimoine européen tout entier est également mon patrimoine – je ne suis pas seulement moi-même. (Le Résidu amer de l’expérience.)
Ainsi parlait Danilo Kiš en 1989, quelques mois avant sa mort.
Sept ans à peine nous séparent de ces propos. Mais j’ai l’impression qu’il y a des décennies. Que de mots oubliés, retirés, vidés de leur sens : écrivain européen, Yougoslavie, Europe, Europe centrale ! »
Rien à changer. Juste à ajouter parmi les mots « oubliés » depuis, celui du patrimoine. Et attirer aussi l’attention du lecteur sur la dernière phrase : je ne suis pas seulement moi-même.
Je tiens à remercier Pascale Delpech. Sans son aide et ses conseils, ce numéro n’aurait pas pu être réalisé.
Je suis obligé de temps à autre de rappeler que nous ne faisons pas de « dossiers ». Nous ne distribuons pas des tâches. Ces écrivains, par exemple, qui ont eu la gentillesse de nous confier leurs articles sur Danilo Kiš ont été sollicités pour écrire sur un écrivain qui compte beaucoup à leurs yeux. Il appartenait à eux de choisir le sujet, la forme, de parler d’une ou de plusieurs de ses œuvres, etc. Mais, dirait-on, ne court-on ainsi le risque de trop parler d’un livre au détriment des autres ou encore de laisser dans l’ombre des pans entiers de l’œuvre des auteurs concernés ?
En effet. Mais, en premier lieu, la liberté prime sur tout, comme disait le grand Danilo, et, ensuite, l’accumulation de savoirs n’a jamais rimé avec la création artistique et le dialogue esthétique.
Infinis remerciements à Steven Sampson, Jean-Yves Masson, Françoise L’Homer-Lebleu, Carmen Ruiz de Apodaca, Ivana Velimirac, Massimo Rizzante, Miguel Gallego Roca, Eryck de Rubercy et Jean-Jacques Sempé.
L’œuvre de Danilo Kiš est considérable. Romancier, essayiste, traducteur, familier de toutes les grandes traditions littéraires allant de l’Atlantique à l’Oural, il est peut-être le dernier grand esprit universel dont peut se réclamer encore l’Europe. Toute son œuvre tourne autour de deux expériences collectives majeures de sa vie : le nazisme et les régimes communistes. Le nazisme, parce que son père juif a disparu à Auschwitz. Les régimes communistes, parce que né et grandi en Yougoslavie. Cependant son œuvre n’est ni un témoignage, ni une accusation ex cathedra, ni une analyse politico-idéologique, ni une satire. Mais elle est tout cela à la fois rehaussé, sublimé, métamorphosé par l’art.
L. P.