L’appel de L'Atelier
Parlons du français!
Parlons de notre indignation devant la possibilité, si elle n’est déjà accomplie, de nous réveiller un beau matin emprisonnés dans une autre langue que la nôtre.
L’anglais progresse. L’anglais, ou ce qui en tient lieu, envahit la planète. Dans sa marche triomphale, il bouleverse les traditions et les coutumes ancestrales de tous les peuples. Il s’infiltre dans notre langage quotidien, il s’empare de l’espace sonore, il accompagne l’image omniprésente. Que faire? Ce sont les «réalités du marché» qui l’exigent, répètent inlassablement nos spécialistes «ès évolutions» du monde. Le marché? Vous dites: le marché? Au diable le marché quand il s’agit de notre liberté!
Concernant notre langue, son recul devant l’expansionnisme de l’anglais ne date pas d’hier. Cette «colonisation douce», selon la formule de Dominique Noguez, est aussi, et peut-être surtout, le résultat d’omissions, d’indécisions politiques et d’absence de lois rendant obligatoire l’usage du français dans tous les domaines de la vie publique. La mollesse intellectuelle et le laisser-faire se payent.
Hélas, ça continue. Toujours vers le pire. Or, ce qui s’est passé en France se passe maintenant dans l’ensemble du continent européen. On fait l’Europe, estiment nos éternels spécialistes. La vérité est qu’on détruit de façon systématique, irréversible l’Europe polyglotte. L’Europe sera, à tous les niveaux, l’entité historico-culturelle polyglotte qu’elle a toujours été ou elle ne sera pas.
Parlons du français. Parlons donc aussi de ce qui, se présentant sous les habits du français, se métamorphose, comme touché par une baguette magique, en non-langue. Nous sommes conquis par l’anglais. Certes. Cherchons-en les causes.
Essayons de comprendre, de nous expliquer la raison d’être et la signification profonde de cet immense événement culturel. Ne cessons pas de crier notre colère, ni de rire de cette situation à la fois cocasse et sinistre, encore moins d’intervenir pour arrêter et encore, oui « et encore », car c’est exactement ça l’Histoire, pour renverser la tendance. Cependant tenons compte du fait que la victoire actuelle de l’anglais n’obéit pas à la fameuse dialectique du maître et de l’esclave. Les entrailles de toutes les langues, dominantes comme dominées, sont aujourd’hui rongées par le même poison: de langues de civilisation (uniques) elles se transforment en langues de communication (interchangeables et créolisables sans vergogne). Toutes les langues, l’anglais inclus, tendent vers le bas, vers «l’utile», l’uniformément simple (vivent les nouvelles technologies!), la négation du passé et de la richesse humaine.
Parlons du français. Autrement dit, inscrivons le sort du français (et évidemment de toutes les langues) parmi les questions qui jugeront, dans l’avenir le plus proche, de notre survie en tant que sujets libres et civilisés.