L'Atelier du Roman n° 111
Adalbert Stifter – avant que la nature disparaisse
Que notre monde fait beaucoup de bruit sur l’état désastreux de la nature ne signifie pas pour autant qu’il la connaît et, encore moins, qu’il l’aime. Le plus probable est que ce bruit sert à camoufler le risque bien réel que nos vies soient stérilisées de tout rapport psychique, cognitif, poétique et spirituel avec la nature. C’est de ce rapport spécifiquement humain avec la nature que parle toute l’œuvre romanesque d’Adalbert Stifter (1805-1868). L’auteur de L’Arrière-saison n’est pas un inconnu. Mais c’est aujourd’hui qu’il faut le relire. Avant que la nature disparaisse. Ou, ce qui revient au même, avant que nous perdions notre nature humaine.
À l’intervalle, les livres nous attendent, dit François Taillandier dans sa chronique. Nous parlons de quelques-uns dans le reste de la matière. Apparemment, selon les signes du temps, notre sort est scellé. Nonobstant, selon les signes de la création, le miracle l’emporte toujours.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 111
Adalbert Stifter – avant que la nature disparaisse
SOMMAIRE
Ouverture
Jean-YvesMasson, L’explorateur du continent humain
Eryck de Rubercy, De la lenteur
Denis Grozdanovitch, Le monde idyllique d’Adalbert Stifter
Claude Dourguin, Stifter ou la nécessité du chemin
Arnold Stadler, Mon Stifter, portrait d’un suicidé in spe
Françoise L’Homer-Lebleu, Adalbert Stifter tel qu’en ses lettres
Adalbert Stifter, Lettres
Joël Roussiez, Une dramaturgie sans drame ou le sens du tragique
Thomas Pavel, Le sourire de Stifter
Charles Brion, Les Grands Bois, une grande nouvelle d’avant la maturité
Reynald Lahanque, L’arrière-saison des amours
Lakis Proguidis, Regarde cette fleur !
Dates et œuvres
À la une : Yannick Roy
Critiques
Jacques Dewitte, La chose qui n’est pas – Gulliver au pays
des Houyhnhnms
Riccardo Pineri, Le désenchantement des origines – Cesare Pavese et le mythe des mers du Sud
Baptiste Arrestier, Le détective et l’assassin – Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry
Raphaël Arteau Mcneil, L’avenir d’une certitude – California Dream, de Daniel D. Jacques
À la une : Trevor Cribben Merrill
Entretien
Patrice Jean – Lakis Proguidis, Jeu et vérité
À la une : Théo Ananissoh
Au fil des lectures
François Taillandier, Les livres nous attendent…
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 111
Adalbert Stifter – avant que la nature disparaisse
Un numéro consacré à Adalbert Stifter (1805-1868) peut paraître surprenant, vu l’intérêt de L’Atelier du roman pour les romanciers qui ont profondément marqué l’histoire et l’art du roman. Natif de Bohême, pays qui faisait à l’époque partie de l’Empire autrichien, peintre et prosateur, avec plusieurs romans et recueils de nouvelles à son actif, Stifter est resté à l’écart des grands bouleversements artistiques et culturels qui ont commencé à secouer l’Europe au milieu du xixe siècle. Il est considéré, en général, comme l’un des précurseurs de l’esthétique Biedermeier, esthétique magnifiant les valeurs de la famille et de la vie campagnarde. Ce qui ne l’a pas empêché d’obtenir l’approbation de ses contemporains, ainsi que des grands écrivains de tous bords, de Nietzsche à Kafka et de Walser à Kundera.
Infinis remerciements à Eryck de Rubercy et Françoise L’Homer-Lebleu. Eryck de Rubercy a eu l’idée de cet hommage à Stifter. Et c’est grâce à Françoise L’Homer-Lebleu que nous publions, traduites et préfacées par elle, quelques lettres choisies dans la volumineuse correspondance de Stifter, inédite en France. Françoise L’Homer-Lebleu a aussi rédigé la notice biobibliographique, la plus complète en français, sur l’auteur de L’ Arrière-saison.
À la Une : ce qui est à la première page des journaux. Dans chaque numéro de L’Atelier du roman il y en a trois. Par trois fois nos chroniqueurs (ici, Yannick Roy, Trevor Cribben Merrill et Théo Ananissoh) commentent l’actualité romanesque qui, tel un grand fleuve tranquille, coule en dehors du temps en irriguant tous les continents.
Ce ne sont pas seulement quelques écrivains de renom qui apprécient Adalbert Stifter. En France, il continue à être édité et réédité. D’où vient donc cet intérêt pour une œuvre si opposée à notre monde et si étrangère aux canons littéraires en vogue? Qui sait? Peut-être, à moins cinq, le temps est-il venu de capter la voix qui émane des profondeurs de cette œuvre: la nature n’a pas besoin de protection mais d’amitié.
«Les livres nous attendent. Ils ont le temps», écrit François Taillandier dans son «Au fil des lectures». Les livres, certes. Mais, ayant inventé tant de machines pour gagner du temps, c’est nous qui risquons de ne plus en avoir pour lire.
Non sans fatuité, les Occidentaux disaient « la science » pour désigner la science moderne (ou la science expérimentale). Par là même, consciemment ou non, ils manifestaient leur mépris pour les savoirs qu’avaient élaborés les autres cultures. Mais leur science, en fait, était une science parmi d’autres, c’est-à-dire une institution historiquement datée et conçue pour satisfaire les aspirations et les besoins d’un certain type de société. Comment ont-ils pu oublier, en particulier, à quel point leurs méthodes et leurs stratégies cognitives étaient enracinées dans les pratiques techniques et industrielles?
Pierre Thuillier, La Grande Implosion, 1995.
Stifter n’a peut-être pas marqué l’histoire du roman. Ce qui est discutable. Mais il a marqué d’une manière inimitable l’histoire de l’humaine condition: l’homme qui ne s’émerveille pas devant un paysage est perdu tant pour la nature que pour la science.
Le divin hasard a voulu que nos pages «critiques» tournent autour des tentations qui hantent nos esprits: celle de l’art pour l’art (Au-dessus du volcan, de Malcolm Lowry, par Baptiste Arrestier), celle de la science pour la science (California dream, de Daniel D.
Jacques, par Raphaël Arteau McNeil), celle de l’utilitarisme intégral («Gulliver au pays des Houyhnhms», par Jacques Dewitte) et, comme pour conjurer ces maux, celle de l’exotisme («Cesare Pavese et le mythe des mers du Sud», par Riccardo Pineri).
«Jeu et vérité» s’intitule l’entretien avec Patrice Jean. Vérité. Pour ne pas laisser le jeu dominer. De toutes les tentations susmentionnées, la plus insidieuse est celle du ludique pour le ludique.
2023. Mars, François Ricard. Juin, le numéro inaugural du nouveau cycle des Rencontres annuelles de Thélème : « Lire et relire Rabelais ». Septembre, Jean-Jacques Sempé. Décembre, Leo Perutz.
De temps à autre je dois le répéter : les pages que nous consacrons à l’œuvre d’un romancier ne sont pas des « dossiers ». Il n’y a pas des discussions préalables pour découper l’œuvre concernée en « sujets » à traiter. Les écrivains sollicités – qu’ils soient tous remerciés – livrent leur lecture. Le but est le dialogue esthétique par articles interposés. Ayant choisi une œuvre romanesque comme basse continue, le but est de faire résonner un ensemble polyphonique.
L.P.
L'Atelier du Roman n° 110
Déshumanité, de Julien Syrac: la recherche du réel perdu
Déshumanité est un essai littéraire. L’auteur, Julien Syrac, s’interroge sur ce qui a conduit l’écrasante majorité de gens à accepter passivement les mesures restrictives prises durant l’année 2020 contre le covid, des mesures souvent contradictoires. En s’appuyant surtout sur les grands moralistes et les grands romanciers, Julien Syrac avance l’idée que cette passivité était pour ainsi dire à prévoir. Depuis environ deux siècles, dit-il, notre civilisation poursuit sans faute le chemin de l’abstraction, des projets sociaux enchanteurs conçus in vitro, et des utopies «scientifiques» au détriment de la réalité. C’est alors ainsi que le jour du covid l’humaine condition cède devant les statistiques et l’intelligence commune devant les algorithmes.
Au risque de l’étourdissement général sous l’emprise de l’abstraction, nous répondons, depuis la fondation de L’Atelier, par le dialogue. Ici, ce dialogue se réalise sous la forme d’un commentaire polyphonique du livre de Julien Syrac, d’une ouverture vers la poésie et la musique, des découvertes (Lutz Seiler, Hiroko Oyamada) et des rappels salutaires (Jack-Alain Léger, Pier Paolo Pasolini, Faulkner, Dumas et Octave Mirbeau).
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 110
Déshumanité, de Julien Syrac: la recherche du réel perdu
SOMMAIRE
Ouverture
Pierre Saïet, Une si juste colère
Thierry Gillybœuf, Généalogie du regard
Marion Messina, Déshumanité : le journal de la désintégration
Charles-Gaby Max, Le point Syrac
Raphaël Arteau mcneil, En attendant le roman
Alexandre marchadier, XIX 2.0
Jérôme Couillerot, Full contact
Patrice Jean, Vis comica
Slobodan Despot, Le pari du parking
Baptiste Arrestier, Un pendu peut-il éclairer ? – À la recherche d’une approche réaliste
Guillaume Narguet, Éloge de la longueur
Lakis Proguidis, Le livre de l’amitié et de la liberté
À la une : Yves Lepesqueur
Critiques
Morgan Sportès, Le dernier blues de Jack-Alain Léger
Massimo Rizzante, Pier Paolo Pasolini – Une rencontre où la littérature ne suffit pas
Jacques Dewitte, Janáček et la polyphonie des émotions
– Milan Kundera, critique musical
Jean-Yves Masson, Lutz Seiler : La réunification allemande au miroir du roman
Raphaël Arteau Mcneil, Travailler ? – L’Usine, de Hiroko Oyamada
À la une : Boniface Mongo-Mboussa
De près et de loin
Olivier Maillart, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains
Fernando Arrabal, Comme des étincelles
À la une : Marion Messina
Au fil des lectures
Benoît Duteurtre, Au fil des lectures (et autres considérations…)
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 110
Déshumanité, de Julien Syrac: la recherche du réel perdu
À la mémoire de Jean-Jacques Sempé (1932-2022).
Quelqu’un devait s’arrêter et réfléchir sur ce qui se passe autour de nous et à l’intérieur de nous depuis deux ans et demi. C’est chose faite : Déshumanité, de Julien Syrac. Avec un sous-titre pour bien situer la chose: «Approche historique de l’an de disgrâce 2020». Difficile de ne pas se rendre compte que Déshumanité concerne notre vie en régime covidien.
Il y a quelques années, François Ricard commentait ironiquement le fait que certaines universités canadiennes supprimaient au début des années 2000 leurs départements de théologie et de philosophie pour «manque d’effectifs» (sic). S’il était encore vivant, il serait ravi d’apprendre que les départements des «humanités digitales» (re-sic) commencent à proliférer dans nos anciens temples du savoir. Donc, rien n’est perdu; il aurait fallu y penser: Théologie digitale, Philosophie digitale, Renaissance digitale et ainsi de suite jusqu’à la Géographie et la Préhistoire. Merci messieurs les Digitalistes.
«Approche historique». Depuis grosso modo deux siècles, écrit Julien Syrac, nous nous approchons, nous les Occidentaux, du point de rupture avec la sensation de la réalité. Au bénéfice de l’Abstraction. Au bénéfice de l’idée qu’un jour les mondes rêvés, utopiques, virtuels (mondes susceptibles de s’améliorer à l’infini) iront se substituer à l’homme réel (mauvais et toxique d’après les spécialistes en la matière).
Selon le grand Bergson, le rire jaillit quand on plaque le mécanique sur le vivant. Pourtant, je n’ai jamais vu quelqu’un s’esclaffer devant tous ces gens qui circulent de nos jours masqués, casqués et branchés. Se peut-il que le philosophe se soit trompé? Je ne le pense pas. Tout est question de dosage. Bergson a vécu à une époque où on consommait encore du mécanique avec modération. Nous, nous en sommes à plaquer le vivant sur le mécanique. Et, apparemment, il n’y a personne pour s’amuser avec cette nouvelle donne.
Le parcours de l’Abstraction tracé dans Déshumanité est doublé des avertissements des grands romanciers auxquels l’auteur se réfère constamment. Raison supplémentaire pour que L’Atelier du roman choisisse de présenter et de commenter à plusieurs voix ce livre – dont la parution nous a été signalée par Thierry Gillybœuf, que nous tenons à remercier. Julien Syrac intègre dans la réflexion critique l’art du roman comme une voie de connaissance unique et irremplaçable. Sans omettre de tirer profit de deux qualités majeures de cet art: le scepticisme et l’humour.
Notre thèse est que l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert.<br /> Karl Polanyí, La Grande Transformation, 1944.
La déshumanité n’est pas le contraire de l’humanité. C’est le chemin qui conduit de l’humain au post-humain. Ne nous hâtons pas pour arriver au bout. Sur ce chemin, il y a tant de choses étranges à observer calmement, attentivement et toujours en s’amusant. Comme, par exemple, le monde éditorial (Morgan Sportès), une usine de notre temps (Raphaël Arteau McNeil), certains de nos contemporains (Olivier Maillart) ou, encore, notre chère Europe (Benoît Duteurtre).
Rencontres de Thélème. À partir de cette année, après huit Rencontres sur la liberté, nous inaugurons un nouveau cycle thématique: «Lire et relire Rabelais». Le court texte explicatif figure à la fin du volume.
Sur le chemin susmentionné, il nous arrive toujours des rencontres inoubliables, mirifiques comme celle de Jean-Yves Masson (Seiler), Massimo Rizzante (Pier Paolo Pasolini), Boniface Mongo-Mboussa (Faulkner), Marion Messina (Les Trois Mousquetaires) et Fernando Arrabal (la «mère» Mercedes).
Contre les covids, de la poésie (Yves Lepesqueur) et de la musique (Jacques Dewitte) trois fois par jour, matin, midi et soir, avant et après les repas. Et le rire de Sempé toute la journée – et pour toujours.
L.P.
L'Atelier du Roman n° 109
Roberto Bolaño – Créer malgré tout
Au tournant du siècle, côté art et côté littérature l’heure était à la mélancolie généralisée. Les écrivains singuliers qui avaient marqué la deuxième moitié du XXe siècle avaient commencé à se retirer de la scène littéraire. Les œuvres des successeurs montraient des signes d’épuisement. Les ateliers d’écriture supplantaient la création, le jamais vu, l’imprévu. Et le monde prenait goût à être bercé dans le recyclage du même et à prendre l’art comme complice. Et soudain Roberto Bolaño. L’outsider absolu. L’écrivain qui a démenti toutes les prévisions. Et, soudainement, l’explosion de la création. En une dizaine d’années il a réussi à ramener le roman au premier matin poétique du monde.
Dans cet hommage à Bolaño, il est entouré de vaillants confrères, comme Aharon Appelfeld, Danilo Kis, Dominique Dussidour, Georges Haldas, Heinrich von Kleist, François Ricard, ainsi que des chroniques en décalage constant avec ce-dont-on-parle. Le tout parsemé des dessins humoristiques de Sempé.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 109
Roberto Bolaño – Créer malgré tout
SOMMAIRE
Ouverture
Philippe Garnier, Un Ulysse sans Ithaque
Francine Prose, Roberto Bolaño, 2666
Baptiste Arrestier, L’irrrépressible appel de la poésie
Christopher Domínguez michael, Bolaño et le Mexique
Muharem Bazdulj, Écrire après l’apocalypse
Boniface Mongo-Mboussa, Un Goncourt au « pays » de Bolaño
Juan Villoro, Portrait parlant de Roberto Bolaño
Carmen Boullosa, Bolaño, un tourbillon
Enrique Vila-Matas, Des étoiles distantes et des étoiles qui tombent
Philippe Ollé-Laprune, « Ne pas revenir sur les lieux du crime »
Massimo Rizzante, Survivre au fond de l’inconnu
Miguel Gallego Roca, Le rire, l’horreur et l’humanisme
Giovanni di Benedetto, «Qu’est-ce qu’il y a derrière la fenêtre?»
Nunzio Casalaspro, Bolaño, géométrie du mal
Lakis Proguidis, Le roman de la poésie
Dates et œuvres
À la une : Théo Ananissoh
Critiques
Norbert Czarny, Parcours d’Aharon Appelfeld
Laurent Grisel, Aller vers ce qu’on ne sait pas – La Nuit de Gigi,
de Dominique Dussidour
Bérénice Levet, Nous avons bien progressé – Dénoncez-vous les uns
les autres, de Benoît Duteurtre
Reynald Lahanque, L’enfance de l’art – Chagrins précoces, de Danilo Kiš
Jean-Marc Bastière, Georges Haldas, le poète-chroniqueur face au roman
À la une : Olivier Maulin
De près et de loin
François Ricard, L’écriture libérée de la littérature
À la une : Trevor Cribben Merril
Au fil des lectures
Massimo Rizzante, L’art secret de devenir humain – En traduisant
Les Transformations de l’homme, de Lewis Mumford
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 109
Roberto Bolaño – Créer malgré tout
Le 17 février est décédé François Ricard. Nous perdons un ami cher et un de nos plus anciens collaborateurs. Professeur à l’Université McGill (Montréal), éditeur, critique littéraire, directeur de revue, chroniqueur et essayiste hors pair, François Ricard a toujours œuvré pour nous faire connaître la bonne littérature québécoise. C’est grâce à ses conseils que L’Atelier du roman entretient des rapports fructueux avec plusieurs écrivains québécois. Son avant-dernier essai, comme pour annoncer le présent numéro sur Bolaño, s’intitulait La Littérature malgré tout. Son héritage littéraire continuera à illuminer nos esprits.
Il est tout à fait naturel que L’Atelier du roman se tourne souvent du côté de l’Amérique latine, du côté de cette terre romanesquement fertile depuis un siècle. De Bioy Casares à Borges, de Sabato à Cortazar et de Carpentier à Roa Bastos, Marques, Fuentes, Vargas Llosa et beaucoup d’autres, les écrivains latino-américains ont ouvert à l’art du roman des voies nouvelles surprenantes et extrêmement fécondes. Le Chilien Roberto Bolaño (1953-2003) est le dernier de cette glorieuse lignée.
Un grand merci à Massimo Rizzante. Il a ouvert la voie menant à Bolaño (L’Atelier du roman, no 53, mars 2008). Il a aussi orchestré toute la bande hispanophone ici présente.
Les idéologies lyriques même les plus « dures » et le plus ouvertement contestataires, quand on les replace dans leur contexte général et qu’on voit leur effet ultime dans la vie et dans la pensée, apparaissent en réalité comme des idéologies de consentement et non d’opposition, d’obéissance plutôt que de révolte.
François Ricard, La Génération lyrique, 1992.
Infinis remerciements : les traductions des articles de Miguel Gallego Roca, Christopher Dominguez Michael, Carmen Boullosa, Francine Prose, Enrique Vila-Matas et Juan Villoro ont été subventionnées par le Groupe de recherche « Estudios literarios y culturales » de l’Université d’Almeria (Espagne) et par le Séminaire International sur le Roman (SI-LABORLET) et l’Université de Trento (Italie).
François Ricard a été le plus fin connaisseur des œuvres de Gabrielle Roy et de Milan Kundera. Il leur a consacré plusieurs ouvrages. Ce n’est pas un hasard si Gabrielle Roy l’avait préféré pour écrire sa biographie et Milan Kundera pour prendre soin de l’édition de son opus, à savoir les deux volumes de la Pléiade parus en 2011.
Je dois ajouter que je ne suis pas un poète lyrique. Je suis totalement prosaïque et attaché au quotidien. Mon poète favori est Nicanor Parra. Et Parra ne parle ni de crépuscules ni de silhouettes de dames qui se découpent sur l’horizon, mais de nourritures et de cercueils et de cercueils encore.
Roberto Bolaño, 1999.
Les lignes ci-dessus proviennent de la conversation de Roberto Bolaño avec Cristián Warnken diffusée par une chaîne de télévision chilienne en 1999. Des larges extraits de cette émission ont été reproduits dans l’excellent numéro qu’Europe a dédié à Bolaño en l’été 2018.
La plupart des écrivains qui parsèment ce numéro sont morts. Roberto Bolaño (hommage collectif), François Ricard (reprise de son premier article dans L’Atelier), Georges Haldas (Jean-Marc Bastière), Dominique Dussidour, notre collaboratrice pendant vingt ans (Laurent Grisel), Aharon Appelfeld (Norbert Czarny), Danilo Kiš (Reynald Lahanque), Lewis Mumford (Massimo Rizzante), Robert Penn Warren (Olivier Maulin), Heinrich von Kleist (Théo Ananissoh), Stendhal et Balzac (Trevor Cribben Merrill)… Peut-être le hasard. Peut-être un signe de résistance à l’oubli programmé du passé. Peut-être parce que le dialogue avec les morts est le propre de l’homme.
«Loufoque » a été l’adjectif préféré de François Ricard pour caractériser notre monde. Le dernier livre de Benoît Duteurtre (Bérénice Levet) illustre magistralement cette caractérisation.
L’autre propre de l’homme étant comme on sait, le rire, nos infinis remerciements s’adressent aussi à Jean-Jacques Sempé.
Nous consacrerons le numéro de mars 2023 à François Ricard. L.P.
L'Atelier du Roman n° 108
Le visage de la liberté – VIIIe Rencontre de Thélème
Huitième Rencontre de Thélème consacrée, comme les sept précédentes Rencontres, à la liberté. Ce n’est pas un hasard si nous parlons maintenant du visage. Car c’est à nos jours que la question se pose de toute urgence : pourrons-nous encore sauver notre visage de liberté à l’ère de la robotisation galopante et de la standardisation des besoins et des comportement ? Onze voix distinctes. Onze approches différentes pour décliner la même inquiétude. Que notre monde ne semble pas avoir pris conscience des retombées existentielles de ses «avancées» bio-technologiques.
Dans le reste de la matière, nous passons d’un continent à l’autre, d’une époque à l’autre et des maîtres (Čapek, Kundera) aux contemporains (Patrice Jean et Morgan Sportès). Le tout parsemé des chroniques romanesques et, bien entendu, des dessins humoristiques de Sempé.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 108
Le visage de la liberté – VIIIe Rencontre de Thélème
SOMMAIRE
Ouverture
LE VISAGE DE LA LIBERTÉ
Slobodan Despot, Un visage pour l’éternité
Patrice Jean, L’asservissement du visage
Nunzio Casalaspro, Trois rêves
Thierry Gillybœuf, Le visage narcissique de la liberté
Bertrand Lacarelle, La liberté dans la vallée
Andrea Inglese, Héritage et liberté
Reynald Lahanque, La liberté, les visages
Olivier Maillart, Couvrez ce visage que je ne saurais voir !
Olivier Maulin, Éloge de la liberté concrète
Marion Messina, Le visage : ultime victime de la société liquide
Lakis Proguidis, Mots d’antan
À la une : Boniface Mongo-Mboussa
Critiques
Florent Duffour, L’apocalypse, selon Richard Matheson
Jacques Dewitte, La grâce de l’accord – Une scène de L’Usage de l’homme, d’Aleksandar Tišma
Adrian Mihalache, Le roman de la formation – Sur La Poursuite de l’idéal, de Patrice Jean
Jakub ČeŠka, Le dialogisme de l’expérience romanesque de Kundera
Raphaël Arteau Mcneil, Le roman, dans toute son évidence – La vie au long
cours. Essais sur le temps du roman, d’Isabelle Daunais
À la une : Yannick Roy
De près et de loin
Maja Brick, La littérature couronnée de virus
Karel Čapek, Si j’étais linguiste
SamuelBidaud, Confessions d’un linguiste
Morgan Sportès – Lakis Proguidis, De la critique – Suite sans fin
À la une : Marion Messina
Au fil des lectures
Isabelle Daunais, Sur la relecture
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 108
Le visage de la liberté – VIIIe Rencontre de Thélème
Avec cette VIIIe Rencontre de Thélème prend fin le cycle consacré à la liberté. Le but n’a pas été d’aboutir à quelque conclusion. Il nous a paru plus intéressant d’essayer d’impliquer la littérature dans la défense, l’illustration et la pratique de la liberté. Avons-nous réussi? Qui peut juger? En tout cas, nous, nous avons marché pendant huit ans dans le brouillard, convaincus que sans cette implication la littérature n’a aucun sens.
***
Je tiens à remercier la Région Centre-Val de Loire, la Communauté de communes Chinon Vienne et Loire et l’association Autour de Babel. C’est grâce à leur soutien que les Rencontres de Thélème sont reconduites d’année en année.
***
L’année dernière Milan Kundera a reçu le prix Kafka, la plus haute distinction littéraire tchèque.
Nous publions ici le discours prononcé par Jakub Češka durant la cérémonie d’attribution.
***
Chaque numéro de L’Atelier du roman se veut un essai polyphonique. La basse continue reste toujours la même : le dialogue avec le monde.
Ce qui n’a rien à faire avec ce qui fait débat, comme on dit, mais avec ce qui fait réfléchir. Ainsi, nous parlons d’une scène d’un roman de 1976 du romancier serbe Aleksandar Tišma (Jacques Dewitte), d’un roman de science-fiction de 1954 de l’Américain Richard Matheson (Florent Duffour), d’un essai littéraire d’Isabelle Daunais publié en 2021 à Montréal (Raphaël Arteau McNeil), du dernier roman de Patrice Jean (Adrian Mihalache) et de l’éternelle Méditerranée (Boniface Mongo-Mboussa).
Dans le dialogue avec le monde, c’est à la littérature de dicter ses sujets et ses priorités.
***
Contre l’épidémie de la mélancolie, Sempé matin, midi et soir.
***
L’intellect a longtemps servi à «démystifier», jusqu’au moment où il est devenu lui-même l’instrument d’un monstrueux mensonge. Le savoir et la vérité ont depuis longtemps déjà cessé d’être le souci principal de l’intellectuel – remplacés tout simplement par celui de ne pas laisser voir qu’on ne sait pas. L’intellectuel, qui étouffe sous le poids des connaissances qu’il n’a pas assimilées, biaise comme il peut pour ne pas se laisser attraper.
Witold Gombrowicz, Journal, 1962.
***
Puisque nous passons par Prague, lisons ce court écrit de Karel Čapek sur le premier devoir d’un linguiste, ainsi que les «confessions» de son traducteur Samuel Bidaud.
***
Les Rencontres précédentes : 2014 : «Mot de passe» Thélème!» (François Taillandier). 2015 : «Quelles règles pour quel jeu?» (Jean-Yves Masson).
2016 : «Liberté – quel intérêt?» (Pia Petersen). 2017 : «Une liberté impertinente» (Denis Grozdanovitch). 2018 : «L’identité contre la liberté» (Belinda Cannone).
2019 : «Le corps est-il le noyau ou la frontière de notre liberté?» (Simonetta Greggio). 2020 : «Désir d’ailleurs: désir de liberté?» (Béatrice Commengé).
***
À Thélème nous allons pour discuter. Nos articles sont rédigés dans un temps ultérieur. Ce qui est alors publié ici est le fruit d’un banquet et pas d’un colloque.
***
À partir de ce numéro Marion Messina intègre l’équipe de nos chroniqueurs : Théo Ananissoh, Marek Bieńczyk, Trevor Cribben Merrill, Isabelle Daunais, Benoît Duteurtre, Yves Lepesqueur, Olivier Maulin, Boniface Mongo-Mboussa, Massimo Rizzante, Yannick Roy et François Taillandier.
***
Tout est fait pour empêcher la littérature de susciter notre dialogue avec le monde. Ce qui n’exclut pas les exceptions : Maja Brick, Yannick Roy, Morgan Sportès.
***
Les Rencontres de Thélème continuent. Cette année nous inaugurons un nouveau cycle : «Lire et relire Rabelais». Toujours à l’abbaye de Seuilly, près de La Dévinière. Là où, suppose-t-on, a vu le jour le père de la compagnie pantagruélique. Et toujours avec les écrivains qui croient à l’immortalité de l’art.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 107
John Cowper Powys – Au commencement fut la sensation
Vu l’inquiétude, feinte ou sincère, qui s’empare de l’homme contemporain face au sort de la nature et des enfants contemporains face au sort de la planète, il nous a semblé que la lecture et relecture de l’œuvre de John Cowper Powys (1872-1963) était nécessaire, voire vitale. La tâche a été accomplie par une douzaine d’écrivains. Sans consultation préalable et libres de leurs choix, ils aboutissent tous au même constat – chacun à sa manière : s’il y a une grande leçon à tirer de Powys, elle ne peut concerner que la disparition progressive du rapport sensuel de l’homme à la nature. Disparition dont nous sommes désormais bien placés pour mesurer les conséquences catastrophiques.
L’Atelier du roman étant, comme disait l’autre, la plus grande diversité dans le plus petit espace, nous allons dans le reste de la matière du Japon aux Etats-Unis et de l’Afrique à la Russie en passant toujours par la France – sans oublier ni les mythes prométhéens ni nos visées sur les autres planètes.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 107
John Cowper Powys – Au commencement fut la sensation
SOMMAIRE
Ouverture
Denis Grozdanovitch, Un long compagnonnage – Huit brèves remarques
Christine Jordis, Les « destructeurs siroccos sociaux » et le besoin de solitude
Nunzio Casalaspro, Écouter la voix des morts
Judith Coppel, Se libérer des idéologies
Goulven le Brech, L’escapiste sensuel et le Pays de Galles
Amélie Derome, L’épopée au microscope – L’infime à l’assaut de l’infâme
Marco Martella, En lisant Une philosophie de la solitude
Thierry Gillybœuf, D’homme à homme et peau pour peau
Eryck de Rubercy, Chantre enthousiaste de la nature
Pierrick Hamelin, Plage de Lulworth, un après-midi de juin
MarcellaHenderson-Peal, Vers la liberté
Lakis Proguidis, L’éternel premier matin du monde
Dates et œuvres
À la une : Yves Lepesqueur
Critiques
Benjamin Hoffmann, Avec Murakami
Florian Beauvallet, La pastorale contaminée de Némésis – Sur Némésis, de Philip Roth
Bernard Mouralis, Créer la beauté – Le charme discret de Théo Ananissoh
Julien Syrac, L’impossible épiphanie – Sur Soumission, de Michel Houellebecq
À la une : Olivier Maulin
De près et de loin
Philippe Raymond-Thimonga, Les films d’Andreï Tarkovski
Aleksandra Pavićević, De la lecture et d’autres démons
Les cahiers de l’atelier
Kristaq Cici, L’âge de déraison
Fulvio Caccia, Miranda
À la une : Théo Ananissoh
Au fil des lectures
Marek Bieńczyk, Les rapides et les derniers
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 107
John Cowper Powys – Au commencement fut la sensation
Romancier, nouvelliste, poète, essayiste et critique littéraire hors du commun, John Cowper Powys (1872-1963) reste toujours le grand inconnu. Il a passé sa vie en allant d’un endroit à l’autre pour défendre ses amours littéraires. Des artistes de tous les temps. Des anciens et des modernes. Probablement le temps lui a manqué pour parler suffisamment de sa propre œuvre.
Il y a huit ans que Denis Grozdanovitch nous a signalé l’importance de John Cowper Powys. Un grand merci. Sans son insistance et son aide ce numéro n’aurait jamais pu être réalisé.
Qui dit Powys, dit rapport esthétique à la nature. Et, inversement, quand on dit nature, on dit sève qui irrigue en permanence l’imagination de l’auteur d’Apologie des sens. Entre l’œuvre de Powys et la nature il n’y a pas solution de continuité.
Nous revenons à Murakami (Benjamin Hoffmann), Philip Roth (Florian Beauvallet), Théo Ananissoh (Bernard Mouralis) et Houellebecq (Julien Syrac). Question de principe atelieresque : pour faire avancer d’un pas le dialogue esthétique, il faut faire mille pas en arrière.
Question aussi d’embrasser simultanément les « rapides » et les « derniers », dont parle Marek Bieńczyk.
Et avant de nous engager définitivement dans le tunnel du tout numérique, prêtons encore une fois l’oreille à la voix de la nature telle que l’a entendue un de ses derniers enfants.
À défaut de reconnaître philosophiquement et légalement la distinction entre des ressources productives rares et des communaux partagés, poreux, la société rigidement étatique d’un futur proche sera une expertocratie oligarchique, non démocratique, autoritaire, gouvernée par les écologistes.
Ivan Illich, Le Genre vernaculaire, 1982.
Aussi un grand merci à Jean-Jacques Sempé, Goulven Le Brech, Marcella Henderson-Peal et Slobodan Despot.
À part les articles concernant le thème de chaque numéro, qui sont pour ainsi dire commandés, tout le reste nous parvient au hasard du temps. J’arrange alors les choses. Ainsi, je me suis dit qu’il faut garder pour « Powys » les remarques d’Aleksandra Pavićević sur la lecture, Andreï Tarkovski (Philippe Raymond-Thimonga) et les deux nouvelles (Kristaq Cici et Fulvio Caccia). Le hasard, oui, mais apprivoisé. Ce qui ferait plaisir, me semble-t‑il, à John Cowper Powys.
La graphomanie n’est pas toujours une maladie. Il y a des cas heureux. La preuve, Georges J. Arnaud (Olivier Maulin).
Au moment où nous nous apprêtons à aller voir ce qui se passe sur les autres planètes (Théo Ananissoh), un détour par les mythes de Prométhée et leurs différentes interprétations devient plus qu’indispensable (Yves Lepesqueur).
En 2022, mars, la VIIIe Rencontre de Thélème, « Le visage de la liberté ». Juin, Alberto Bolaño. Septembre, Déshumanité, de Julien Syrac. Décembre, Adalbert Stifter.
Au commencement fut la sensation. Voilà une hypothèse anthropologique qui va à l’encontre de tous les idéaux et de tous les projets de l’humanité post-cartésienne.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
Danilo Kiš (1935-1989) est l’un des plus grands écrivains du XXe siècle qui continue d’être, malheureusement, très peu connu. Dans ce numéro nous sommes réunis pour parler exclusivement de son œuvre. Nous sommes trente et de plusieurs pays. Nous n’avons qu’un désir: voir enfin Danilo Kiš reconnu du grand public. Non seulement par souci de justice; il y a tant de grands écrivains injustement oubliés… Sauf que Kiš nous est nécessaire. Car son œuvre, déployée sur fond de l’expérience du nazisme et du communisme, parle d’un mal qui ronge la conscience européenne depuis un siècle, d’un mal qu’aucune victoire sur les champs de bataille n’arrivera à dissiper. Peut-on le dissiper par l’art? La voix de Kiš n’est pas celle d’un guide ou d’un prophète. C’est la voix de la création. C’est la voix du beau, la voix qui illumine l’esprit dans le brouillard du monde qui nous entoure. Brouillard de plus en plus épais du fait d’une production littéraire mise au service de la victimisation. Dans ce sens, l’œuvre de Kiš est actuelle plus que jamais.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
SOMMAIRE
Ouverture
Guy Scarpetta, Réflexions éparses sur (et autour de) Danilo Kiš
Ilma Rakusa, Écrire contre l’évanescence – Danilo Kiš et son art du Non
omnis moriar
Filip Čolović, Kiš et moi ou Des raisons intimes pour écrire le roman
Une comptine pour Andréas Sam
BožidarStanišić, L’écrivain sur le banc des accusés – Notes sur La Leçon
d’anatomie, de Danilo Kiš
Mark Thompson, L’empreinte de Beckett
Viktórija Radičs, Pourquoi il faudrait que je lise Kiš encore plus attentivement
Christian Salmon, Guerre au kitsch !
Aleksandar kostić, Les variations de Kiš sur le thème de la rencontre entre
la vie et la littérature – de La Mansarde à l’Encyclopédie des morts
Adrian Mihalache, La lecture : ennemi de l’écriture ?
Reynald Lahanque, Biographies brisées
Danilo Kiš, Homo poeticus malgré tout
Massimo Rizzante, Du début à la fin : comment donner l’essentiel d’une existence ?
Katharina Wolf-Grießhaber, Une bombe de la grosseur d’un mot
Norbert Czarny, Des tombes vides
Denis Grozdanovitch, Le petit garçon et l’archange du grand sommeil
Muharem Bazdulj, La vie littéraire après la mort
Sylvain Prudhomme, Rien ne sera oublié
Simona Carretta, Le même et l’autre
Slobodan Šabeljić, Mon ami Danilo
Joël Roussiez, Renoncer à la cohérence – Une esthétique pour Sablier
Ivana Velimirac, Quelques fragments sur Danilo Kiš
Danilo kiš, Conseils à un jeune écrivain
Antonio Muñoz molina, Le fabulateur et le témoin
Miljenco jergović, Le vol de l’Encyclopédie des morts – « Il est glorieux de
mourir pour la patrie », une lecture
John Cox, Une fondation pour tout – La confession d’un admirateur à peine
caché de Danilo Kiš
Olivier Maillart, Sonate de spectres – À propos d’Un tombeau pour Boris Davidovitch
Davor Beganović, Suum cuique – Le combat de Danilo Kiš pour le droit et
la justice
Éric Naulleau, Un tombeau pour Danilo Kiš
Jean-Pierre Morel, La mille et unième fois
Midhat kurtović, Qu’avons-nous appris d’Un tombeau pour Boris Davidovitch ?
Baptiste Arrestier, Rien n’est plus réel que la fiction – Réflexions sur le
scandale Danilo Kiš
Lakis Proguidis, L’antenne de l’espèce
........ Dates et œuvres
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
Plus le temps passe, plus Danilo Kiš devient actuel. Nous lui avons consacré notre huitième numéro en automne 1996. Maintenant nous revenons. Plus nombreux et de plusieurs pays. Pour continuer de parler de l’un des plus grands écrivains du xxe siècle. Et nous en reparlerons encore, certainement. Car son œuvre illumine le parcours de L’Atelier du roman depuis sa fondation.
Voici le début de notre « Ouverture » de 1996 :
Dans mon cas, les choses sont en fait très simples. Je suis avant tout un écrivain européen, car la Yougoslavie, pays dont je viens, fait partie de l’Europe, de sa culture et sa littérature sont européennes. Au sens plus étroit, cependant, je me sens redevable à l’Europe centrale : le milieu hongrois dans lequel j’ai passé mon enfance, la connaissance de la langue et de la littérature hongroises ont eu, en fin de compte, une influence déterminante sur moi. Je suis donc passé, au sens spirituel, de la Yougoslavie à l’Europe centrale. D’où le fait que le patrimoine européen tout entier est également mon patrimoine – je ne suis pas seulement moi-même. (Le Résidu amer de l’expérience.)
Ainsi parlait Danilo Kiš en 1989, quelques mois avant sa mort.
Sept ans à peine nous séparent de ces propos. Mais j’ai l’impression qu’il y a des décennies. Que de mots oubliés, retirés, vidés de leur sens : écrivain européen, Yougoslavie, Europe, Europe centrale ! »
Rien à changer. Juste à ajouter parmi les mots « oubliés » depuis, celui du patrimoine. Et attirer aussi l’attention du lecteur sur la dernière phrase : je ne suis pas seulement moi-même.
Je tiens à remercier Pascale Delpech. Sans son aide et ses conseils, ce numéro n’aurait pas pu être réalisé.
Je suis obligé de temps à autre de rappeler que nous ne faisons pas de « dossiers ». Nous ne distribuons pas des tâches. Ces écrivains, par exemple, qui ont eu la gentillesse de nous confier leurs articles sur Danilo Kiš ont été sollicités pour écrire sur un écrivain qui compte beaucoup à leurs yeux. Il appartenait à eux de choisir le sujet, la forme, de parler d’une ou de plusieurs de ses œuvres, etc. Mais, dirait-on, ne court-on ainsi le risque de trop parler d’un livre au détriment des autres ou encore de laisser dans l’ombre des pans entiers de l’œuvre des auteurs concernés ?
En effet. Mais, en premier lieu, la liberté prime sur tout, comme disait le grand Danilo, et, ensuite, l’accumulation de savoirs n’a jamais rimé avec la création artistique et le dialogue esthétique.
Infinis remerciements à Steven Sampson, Jean-Yves Masson, Françoise L’Homer-Lebleu, Carmen Ruiz de Apodaca, Ivana Velimirac, Massimo Rizzante, Miguel Gallego Roca, Eryck de Rubercy et Jean-Jacques Sempé.
L’œuvre de Danilo Kiš est considérable. Romancier, essayiste, traducteur, familier de toutes les grandes traditions littéraires allant de l’Atlantique à l’Oural, il est peut-être le dernier grand esprit universel dont peut se réclamer encore l’Europe. Toute son œuvre tourne autour de deux expériences collectives majeures de sa vie : le nazisme et les régimes communistes. Le nazisme, parce que son père juif a disparu à Auschwitz. Les régimes communistes, parce que né et grandi en Yougoslavie. Cependant son œuvre n’est ni un témoignage, ni une accusation ex cathedra, ni une analyse politico-idéologique, ni une satire. Mais elle est tout cela à la fois rehaussé, sublimé, métamorphosé par l’art.
L. P.