Couverture du n° 115 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 115

Leo Perutz – Sous le signe du merveilleux

 

 

C’est surtout aujourd’hui qu’il faut relire ou lire le romancier autrichien Leo Perutz (1882 – 1957). Il a connu les deux grands désastres de l’Europe. Le premier, dans les tranchées, comme soldat. Le deuxième, comme exilé à cause de ses origines juives. Toutefois ses romans ne sont pas ceux ni désespérés ni ceux d’une victime de l’Histoire. Quoique profondément pessimiste quant au sort de l’Europe, quoique profondément sceptique quant aux capacités de l’homme de résister au Mal, son humour, son cosmopolitisme et son insatiable désir de se réinventer, font de lui un romancier parmi les plus grands du XXe siècle.
D’ailleurs, ce n’est pas du tout un hasard si Perutz rencontre dans ce numéro quelques-uns de ses illustres confrères, comme Boulgakov, Céline, Kundera et Carpentier.


SOMMAIRE

Couverture du n° 115 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 115

Leo Perutz – Sous le signe du merveilleux

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

Thierry Gillybœuf, L’ironie du sort
Lenka Hornakova-Civade, Une invitation pour La Nuit sous le pont de Pierre
Stéphane Kerber, Citizen P.
Philippe Claudel, L’enfant qui dort
Raphaël Arteau Mcneil, La narration menottée
Manuel Candré, Où roules-tu, petite pomme ?
Marc Cerisuelo, L’atelier du scénario – Le Cosaque et le rossignol
JosephSoletier, Comment peindre un sourd ?
Jean-Paul louis-Lambert, La désagréable, burlesque et tragique
 journée d’un homme désagréable – Le Tour du cadran
Nunzio Casalaspro, L’un pour l’autre
Jean-Pierre Chassagne, Entre éros et thanatos
Cyril de Pins, Le fantastique mélancolique de Leo Perutz
Lakis Proguidis, Le roman de l’Histoire
Dates et œuvres

À la une : Boniface Mongo-Mboussa

Critiques
Guy Scarpetta, Milan Kundera (entretien avec Muriel Steinmetz)
Nunzio d’Annibale, Et soudain Céline...
Raphaël Arteau Mcneil, Le jambon de Montaigne et le diable de Boulgakov
Laurent LD Bonnet – Lakis Proguidis, Être personne (entretien 
autour du roman de Laurent Bonnet, Le Dernier Ulysse)

À la une : Yannick Roy

De près et de loin
Reynald Lahanque, Le quart d’heure de lecture national et autres joyeusetés
Karel Čapek, Comment on fait une littérature universelle
Alexandre Prieux, Cinq Noèmes

À la une : Marion Messina

Au fil des lectures
Massimo Rizzante, La modernité d’Alejo Carpentier

 


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Couverture du n° 115 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 115

Leo Perutz – Sous le signe du merveilleux

 

 

Ce n’est pas un hasard si, en ces temps troubles pour l’Europe, L’Atelier du roman consacre un numéro à Leo Perutz (1882 – 1957), ce grand romancier centre-européen qui a essuyé par deux fois les revers de l’Histoire. Pendant la Première Guerre mondiale il a été gravement blessé sur le front de l’Est. Et puis, en 1938, à cause de ses origines juives, il fut obligé de s’exiler en Palestine. Pourtant, son œuvre n’est ni celle d’un désespéré ni celle d’une victime. Inventif, prolixe, inclassable et toujours sceptique, Leo Perutz a su opposer à l’Europe ravagée par ses conflits qu’on dit inéluctables, son Europe romanesque, plus belle celle-ci que l’autre, sinon plus vraie.

Je tiens à remercier Stéphane Kerber pour son aide à la préparation de cet hommage à Perutz.

Cosmopolite, humaniste, farouchement anti-nationaliste, polyglotte, grand voyageur et esprit à la fois scientifique (études en mathématiques) et littéraire, Leo Perutz a embrassé avec ses romans les cinq derniers siècles de l’histoire européenne. Une histoire avec ses hauts et ses bas. Avec ses embrasements fratricides, mais aussi avec ses surprenantes conquêtes dans le domaine de l’art et de la pensée. Chaque roman de Perutz est différent. Tant en ce qui concerne la composition et l’époque que le genre. Mais tous sont le fruit du même génie romanesque.
Personne mieux que Perutz n’a su marier l’humour avec le scepticisme le plus profond quant au sort de notre civilisation.

Le temps consacré à la lecture des œuvres littéraires diminue comme peau de chagrin. Que faire ? Essayons, au moins, de réfléchir sur les causes (Reynald Lahanque).

Durant toute sa vie, Kundera s’était farouchement opposé à la politisation de son œuvre. Maintenant, après sa mort, le démon de la politisation a le champ libre. D’où la nécessité de revenir sans cesse (dans ce numéro, Guy Scarpetta) sur les aspects esthétiques et la nouveauté artistique de cette œuvre.

Puisque nous devons à tout prix nous débarrasser des stéréotypes, cessons de croire que c’est à nous d’estimer la valeur des œuvres du passé. C’est le contraire qui est vrai. Ce sont ces œuvres qui nous regardent et commentent nos jours et nos travaux. Quelques exemples : Tolstoï (Marion Messina), Céline (Nunzio d’Annibale), Boulgakov (Raphaël Arteau McNeil), les grands poètes africains (Boniface Mongo-Mboussa) et Carpentier (Massimo Rizzante).

Le lecteur de langue française, que l’on sait frileux, ne se hasarde hors de son monde familier qu’avec de solides garanties. Veut-on l’entraîner vers l’Ailleurs ? Qu’on daigne l’assurer d’abord qu’il y trouvera son confort : qu’on lui promette, par exemple, la découverte de tel cousin étranger de Balzac ou de Proust (il en existe quelques-uns ici et là, pour sa plus grande satisfaction). Il accepte même de s’aventurer jusqu’à l’exotisme radical, pourvu qu’on lui fournisse des repères commodes : il est arrivé à la littérature latino-américaine par le truchement rassurant de Borges, cet exilé de la vieille Europe ; et il lit encore les Mille et une Nuits dans des versions taillées sur mesures pour les dames de la cour de Versailles ou pour les dandies de la Belle Époque.
J.-P. S., préface au Judas de Léonard, de Leo Perutz, Phébus, 1987.

Dans les années vingt du siècle dernier, Karel Čapek aimerait voir la littérature de son pays s’ouvrir au vaste monde. À chaque époque ses ambitions : un siècle plus tard, au Québec on n’aspire qu’à cultiver l’idiotie locale (Yannick Roy). Ça s’exporte bien sûr. Comme toute marchandise.

À part le fait que les grandes œuvres du passé nous jugent, elles persistent à nous inspirer. Exemple surprenant, Le Dernier Ulysse de Laurent LD Bonnet, qui a eu la gentillesse de s’entretenir avec celui qui signe.

Agenda 2024. Mars, «Lire et relire Rabelais» (fruit de notre deuxième rabelaisiade à Chinon); juin, «Simenon»; septembre, «Quelle est la langue de notre pays?» ; décembre, «Fellini – un cinéaste parmi les écrivains et vice versa ».

«Le mythe individualiste est un mythe faible, le plus faible, le plus inquiet des mythes», écrit Alexandre Prieux dans ses «Noèmes». Sans y penser, sans connaître la matière du présent numéro, il a résumé tout l’art de Leo Perutz.
Le dialogue esthétique a toujours lieu par-delà le temps et l’intelligence.

La revue Europe vient de fêter ses cent ans. Félicitations ! Un siècle durant lequel on a fait coïncider le mot et la chose, cela tient du miracle.
L. P.

Couverture du n° 114 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 114

Sempé pour toujours

 

Ce nouveau numéro de L’Atelier du roman est triplement commémoratif.
C’est un hommage à Sempé, un an après son décès. Ses dessins humoristiques, dont nous reprenons ici quelques-uns, accompagnent la revue depuis ses débuts.
C’est aussi l’expression d’une profonde amitié et de gratitude envers Milan Kundera, qui vient de nous quitter.
Et c’est aussi l’anniversaire des 30 ans de L’Atelier du roman, dont la devise fut, est et sera : la critique littéraire n’est pas une corvée mais un plaisir. En témoignent, une fois encore, les articles sur Sempé et Kundera, ainsi que nos chroniques.


SOMMAIRE

Couverture du n° 114 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 114

Sempé pour toujours

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

Frédéric Pajak, Un goût d’éternité
Benoît Duteurtre, On dirait un dessin de Sempé
Philippe Delerm, Le regard de Sempé
Yves Hersant, Le petit chat noir
Denis Grozdanovitch, Sempé le bienfaiteur
Pavel Schmidt, Sempé, l’étoile
Philippe Garnier, Sempé, la solitude et le réel
Christian Pasturel, Bonjour Sempé !
Jacques Dewitte, À la recherche de l’art de Sempé
Fernando Arrabal, Offrande
François Taillandier, « La même longue étude »
Francesco Forlani, La banalité du bien
Frédéric Beigbeder, Le dernier dessin de Sempé
Lakis Proguidis, Sempé et les philosophes
Dates et œuvres

Milan Kundera, l’éternel romancier
Milan Kundera, Le 29 avril (reprise)
Milan Kundera, À bâtons rompus (reprise)
Lakis Proguidis, Variations Kundera

Un peu d’atelier

À la une
Théo Ananissoh
Olivier Maulin
Yves Lepesqueur

Au fil des lectures
Isabelle Daunais, Quelle est la bonne direction ?

 


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Couverture du n° 114 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 114

Sempé pour toujours

 

 

Terrible embarras devant la composition du présent numéro. Comment mettre ensemble des matières aussi disparates que l’hommage à Sempé un an après sa mort, la mort ce mois de juillet de Milan Kundera, les trente ans de L’Atelier du roman et les écrits libres et indépendants des chroniqueurs ? Je n’ai trouvé rien de mieux que de regrouper nos chroniques et les placer à la fin, après Sempé et Kundera. Question de montrer que le travail continue.
Sempé et Kundera… Ce sont les deux piliers de L’Atelier du roman.
Pour toujours.

Quant aux trente ans de la revue, contentons-nous de ce que Kundera disait à la sortie de son deuxième numéro. Ce texte est paru en avril 1994 dans le numéro spécial que Le Nouvel Observateur a publié pour fêter ses trente ans (!).
Un grand merci à Vera Kundera qui a autorisé cette reprise.

Hommage et expression d’infinie gratitude. Sempé a été un ami et un collaborateur de L’Atelier du roman depuis son quinzième numéro. Il participait jusqu’à la fin à nos «mardis» et il a assisté quelquefois à nos Rencontres annuelles. Ses dessins d’humour viennent à l’appui de notre idée que la critique littéraire n’est pas une corvée mais un plaisir.

L’œuvre de Sempé est immense. Son joyeux scepticisme et sa douce satire ont embrassé trois générations. Sa quarantaine d’albums et ses innombrables illustrations parues dans des revues et des livres constituent un ensemble artistique qui n’a pas son équivalent. Sempé est unique. Unique comme Tati. Unique comme son pays qui, à ses meilleurs moments, a su marier la profondeur de la pensée avec les joies de la vie. Sempé est aimé de tous, de tous les publics, de tous les âges. A-t-il besoin de commentaires ? Pour être connu, non, pour ne pas être cantonné dans son temps, si.

Sauf erreur de notre part, les cinq séries de dessins humoristiques que Sempé a faites pour L’Atelier du roman entre mars 2000 et juin 2001 ne sont pas reproduites. Les voici de nouveau, toutes assemblées dans la même publication. Titre de cet album imaginaire : Quelques fables.

À Kundera nous avons consacré le 100e numéro (mars 2020). Et nous continuerons d’en parler. Pour l’instant, écoutons-le. À part son texte susmentionné du Nouvel Observateur, nous reprenons ses «À bâtons rompus» du numéro 6 de L’Atelier du roman (printemps 1996). Il y a aussi un article de moi. L’idée de cet article m’est venue au mois de janvier dernier quand j’ai senti que la fin approchait. Une première ébauche (traduite par Simona Carretta) a paru en juillet 2023 dans la revue en ligne italienne Diacritica (n° 48).

Garder le cap est le titre d’un des derniers albums de Sempé. Nous essaierons.
L. P.

Couverture du n° 113 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 113

Lire et relire Rabelais – IXe Rencontre de Thélème

 

L’automne dernier, L’Atelier du roman a inauguré à Chinon un nouveau cycle de Rencontres annuelles d’écrivains: «Lire et relire Rabelais». Ces Rencontres, dites Rencontres de Thélème, ne ressemblent nullement aux colloques habituels. Ce sont des occasions de discussions entre les écrivains invités et le public autour du thème proposé. Le lecteur trouvera dans ce numéro les articles rédigés par les participants en un temps postérieur aux travaux. Les raisons qui nous ont emmené à revenir à Rabelais sont exposées au début de l’ensemble des articles. Elles peuvent être résumées en une seule question: Si notre littérature commence à ignorer son œuvre fondatrice, quel sera son avenir? Nous parlons aussi de nos contemporains (Moresco, Bolaño, Cărtărescu, Jean et Sarid), sans oublier de rendre hommage à Kenzaburô Ôé, mort au mois de mars dernier. Et nous nous étonnons devant l’École augmentée, la technofolie douce, la graphomanie des robots et autres merveilles de la vie actuelle.


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Couverture du n° 113 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 113

Lire et relire Rabelais – IXe Rencontre de Thélème

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

Jean-Marie Laclavetine, Un géant à taille humaine
Thierry Gillybœuf, Rabelais, précurseur du féminisme dernier cri
Michel Garcia, L’autre père François, Rabelais en héros de fiction
Yves Lepesqueur, Endettés envers Panurge
Slobodan Despot, L’esprit de Thélème – Béla Hamvas
Myrto Petsota, Les bons pantagruélistes se frayent leur propre chemin
Olivier Maillart, Le Tiers Livre, un tonneau inépuisable
Yves Hersant, Ce que la bande dessinée fait à Rabelais
Lakis Proguidis, Vue d’ensemble
Cyril de Pins, Les leçons de Rabelais
Patrice Jean, Contre les utopies et pour Thélème

À la une : Marion Messina

Critiques
Massimo Rizzante, Une partie du mystère – Modeste hommage à Kenzaburô Ôé
Pascale Privey, Conduite de nuit – Les Ouvertures, d’Antonio Moresco
Francesco Forlani et Nicolas Léger, Black-out – Improvisations à deux voix sur Bolaño
Baptiste Arrestier, La nostalgie du chaos – Solénoïde de Mircea Cărtărescu
Adrian Mihalache, À la recherche d’un maître à penser – Le Parti d’Edgar Winger, de Patrice Jean
Lakis Proguidis, Sauf miracle – Le Monstre de la mémoire, de Yishaï Sarid

À la une : Yannick Roy

De près et de loin
Raphaël Arteau mcneil, Socrate, un iPhone et un mot de Kafka
Philippe Roussel, Rabelais_22
Maja Brick, Pourquoi ai-je écrit un roman sur Hugo Boss ?

À la une : Trevor Cribben Merrill

Au fil des lectures
Marek Bieńczyk, Étoiles et chaude-pisse

 


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Couverture du n° 113 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 113

Lire et relire Rabelais – IXe Rencontre de Thélème

 

 

C’est un fait que tout dans notre monde pousse vers l’oubli du passé et des œuvres artistiques qui ont illuminé l’humanité pendant des siècles. Or, si les grandes œuvres du passé ne nous parlent plus, pouvons-nous avoir le sentiment que nous sommes toujours sur le chemin de la création? Si les étalons littéraires nous font défaut, comment être sûrs que ce que nous faisons est valable? D’ailleurs, qui décidera que ces œuvres du passé n’ont rien à dire à notre monde et que leurs apories et leurs impasses ne sont plus les nôtres?

Il dressa des héros énormes comme ceux d’Homère et d’une originalité surprenante. Il répandit sur eux, avec un incomparable style, l’esprit le plus prodigieux, une attendrissante simplicité, un savoir universel et toute la sagesse des philosophies.
Comme un vieux colosse inébranlable, il domine toujours notre littérature, et sa renommée grandit encore à mesure que vieillit son œuvre.
Il illumina tout son siècle; et la terre qui enfanta maître François Rabelais n’avait plus rien à envier aux gloires des nations ses rivales.
Guy de Maupassant, Les Poètes français du xvie siècle, 1877.

Thélème change de lieu. Pendant huit ans, nos Rencontres annuelles ont eu lieu à l’abbaye de Seuilly, dans le Chinonnais. Depuis l’année dernière, c’est à Chinon même. Nous venons d’inaugurer un nouveau cycle: «Lire et relire Rabelais». C’est à la page 13 que le lecteur trouvera les raisons qui nous ont conduits à ce projet.

Je tiens à remercier la Région Centre-Val de Loire, la Communauté de communes Chinon Vienne et Loire et l’association Autour de Babel.
C’est grâce à leur soutien que les Rencontres de Thélème sont reconduites d’année en année.
Je tiens aussi à remercier Michel Garcia pour son aide à l’organisation de notre première Rabelaisiade.

Selon les dernières nouvelles (Trevor Cribben Merrill), le wokisme se répand comme une traînée de poudre de l’autre côté de l’Atlantique. Il est étonnant de constater le retour au culte du Même de la part de ceux qui, hier encore, se lançaient dans la quête libératrice de l’Autre.

Massimo Rizzante rend hommage à Kenzaburô Ôé, mort au mois de mars dernier. C’est lui qui a fait entrer le plus rabelaisien des romanciers japonais dans les pages de L’Atelier du roman (no 45, mars 2006) avec son entretien: «Avançons toujours plus loin dans le passé». Un peu plus tard, L’Atelier du roman consacre un numéro (no 51, septembre 2007) à Kenzaburô Ôé sous le titre: «La modernité à l’aune de la tradition».

Nous pratiquons le cosmopolitisme depuis trente ans – bien avant que le wokisme, cette maladie de l’esprit, n’éclate au grand jour. Mais c’est dans ce numéro que nous en faisons le plein: dans la rubrique «Critiques», tous les auteurs commentent des romans étrangers, étrangers par rapport à leur pays.

D’une école (Raphaël Arteau McNeil) l’autre (Philippe Roussel).

Les œuvres d’art vont à l’encontre du sens de la vie. Ce qui vit est toujours orienté vers l’avenir. L’œuvre d’art, vers le passé. Elle y cherche sans relâche sa justification, sa raison d’être, ses racines. Par sa seule existence elle vivifie le monde d’antan. Qu’on prenne en considération sa propre œuvre (Maja Brick) ou celles des autres (Marek Bieńczyk) on aboutit toujours à la même chose: une visite surprenante du passé.

La technophilie est une maladie grave qui met en danger mortel notre espèce. Les premiers symptômes apparaissent dans les années soixante du siècle passé (Marion Messina). Depuis, ladite maladie n’a pas arrêté de progresser pour atteindre à nos jours sa phase paroxystique (Yannick Roy). Le remède? Lecture de romans trois fois par jour, matin, midi et soir.

Il voyait vraiment loin, le grand Rabelais en disant que le rire est le propre de l’homme. Voilà une affirmation qui fera enlever aux robots toute idée qu’ils puissent un jour nous remplacer.
L. P.

Couverture du n° 112 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 112

François Ricard – La littérature comme amitié

 

Si selon Gaëtan Picon le travail du critique consiste à la découverte de la valeur esthétique des œuvres commentées, François Ricard en est la plus brillante illustration. Un an après sa mort, nous rendons hommage à un essayiste, critique littéraire et historien de la littérature parmi les plus importants des cinq ou six dernières décennies. Un hommage avec l’émotion et la gratitude dues à un ami et collaborateur de la revue depuis sa fondation, il y a trente ans. Son héritage est immense. Plusieurs écrivains s’inspirent de son œuvre. Ils y trouvent le sentiment de l’amitié dont a besoin l’art pour qu’il consente à nous parler. On peut avoir une idée de cette amitié par les deux textes de François Ricard repris dans ce numéro.
Par ailleurs, chroniques et autres articles inclus, l’ensemble est placé sous le signe de la critique littéraire – de la critique littéraire comme activité de l’esprit qui tisse des liens forts, indestructibles entre les êtres humains et l’art.


SOMMAIRE

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François Ricard – La littérature comme amitié

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

André Major, L’ami prodigieux
Milan Kundera, Préface à La Littérature contre elle-même
Massimo Rizzante, Le critique face au décor de l’être
Isabelle Daunais, La modestie et le roman
Boniface Mongo-Mboussa, L’autre face de la littérature
Yannis Kiourtsakis, La beauté malgré tout
Dominique Fortier, La littérature pour elle-même
Thomas Pavel, Jeunesse, contestation, obéissance
Marek Bieńczyk, Si par une nuit d’hiver François
Michel Biron, L’ébranlement de l’essayiste
François Taillandier, Un peu moins bête…
Raphaël Arteau Mcneil, La beauté fantôme
Olivier Maillart, Cheminer en bonne compagnie
Yannick Roy, Une leçon de modestie
Trevor Cribben Merrill, Petite poétique du roman
Lakis Proguidis, Un éclair dans le brouillard
Dates et œuvres

À la une : Olivier Maulin

Reprises
François Ricard, Le relais européen
François Ricard, L’atelier de Gabrielle Roy

À la une : Yves Lepesqueur

De près et de loin
Christopher Dominguez Michael, Qu’est-ce qu’un critique littéraire ?
Samuel Bidaud, Plaisir de la critique
Jacques Dewitte, Un enfant du vingtième siècle

À la une : Boniface Mongo-Mboussa

 


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François Ricard – La littérature comme amitié

 

 

Avec ce numéro nous rendons hommage à François Ricard, mort il y a un an. Notre dette envers François Ricard est immense. Il a été un ami cher, un collaborateur régulier depuis la fondation de la revue et, surtout, l’un de ses principaux inspirateurs. En sa personne s’incarnait l’idéal de L’Atelier du roman : animer une vie littéraire comme création, joie et ouverture à l’inconnu.

Je tiens à remercier de tout cœur Marcelle Cossette-Ricard et Isabelle Daunais pour leur aide inappréciable et, aussi, tous ceux qui ont participé à cet hommage.

François Ricard incarnait également l’esprit cosmopolite de la revue. Esprit qu’il ne faut pas confondre avec la libre circulation sur toute la Terre des élites culturelles déracinées. Le cosmopolitisme tel que François Ricard l’a vécu et tel que L’Atelier du roman le revendique consiste en un dialogue des valeurs artistiques dans le monde entier sans tenir compte de la taille, ni de la puissance des différents pays, ni du nombre de ceux qui parlent telle ou telle langue.

Deux reprises. Les Éditions de Boréal (Montréal), que nous tenons à remercier, ont eu l’amabilité de nous autoriser à reprendre ici un article de François Ricard faisant partie de La Littérature contre elle-même. Et nous reproduisons aussi l’article que François Ricard a écrit pour le numéro 62 de L’Atelier du roman (juin 2010) consacré à Gabrielle Roy.

Parfois nous publions des articles et des chroniques qui ne portent directement ni sur le roman (l’art) ni sur les romans (les œuvres). Mais il s’agit d’écrits romanesquement valables. Car ils s’écartent de la doxa. Ici la doxa autobiographique (Jacques Dewitte), la doxa écologique (Yves Lepesqueur) et la doxa commerciale (Olivier Maulin).

Nous ne les avons jamais connus.
C’était l’espoir, au fond de nous,
Qui disait que nous les avions dès notre enfance connus.
Nous les avons vus deux fois, peut-être, puis ils gagnèrent leurs bateaux ;
Cargos de charbon, cargos de céréales, et nos amis
Disparus de l’autre côté de l’océan, pour jamais.
L’aube nous retrouve près de la lampe fatiguée
À dessiner avec effort sur le papier, maladroitement,
Des navires, des sirènes et des coquillages.
Le soir nous descendons vers le fleuve
Parce qu’il nous désigne le chemin de la mer
Et nous passons nos nuits dans des sous-sols qui sentent le goudron.

Nos amis sont partis.
Peut-être ne les avons-nous jamais vus,
Peut-être les avons-nous rencontrés quand le sommeil encore
Nous menait près de la vague qui respire,
Peut-être les cherchons-nous parce que nous cherchons cette vie autre
Au-delà des statues
. Georges Séféris, Mythologies V1, 1934.

Et, à l’occasion, soulignons le fait que la critique littéraire, comme toute création humaine, a son histoire (Christopher Domínguez Michael) et qu’elle est un plaisir de l’esprit parmi les plus exquis (Samuel Bidaud).

Ce n’est pas parce qu’y foisonnent les inventaires qu’une littérature doit nécessairement être assurée d’elle-même. Et ce n’est pas non plus parce que son nom figure dans un dictionnaire d’auteurs qu’un individu doit se considérer une fois pour toutes comme un écrivain. Tout cela peut fort bien tenir du vœu plutôt que de la réalité. Et tous les vœux, surtout pieux, ne sont pas forcément exaucés.
François Ricard, La littérature contre elle-même, 1985.

L’œuvre de François Ricard est considérable. Non seulement en essais littéraires, articles, chroniques, entretiens, comptes rendus, études et ouvrages historiques et philologiques, mais aussi en décennies d’enseignement universitaire et de travail éditorial, à quoi il faut ajouter des émissions radiophoniques, des recherches pointues dans différents domaines du savoir, ses correspondances et discussions amicales interminables. C’est extraordinaire le temps qu’on gagne quand on évite les colloques, les mondanités et les manifestations culturelles de la promotion.
L. P.

1. Georges Séféris, Poèmes (1933-1955), traduit du grec par Jacques Lacarrière et Égérie Mavraki. Préface d’Yves Bonnefoy, postface de Gaëtan Picon, Mercure de France, 1988.

Couverture du n° 111 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 111

Adalbert Stifter – avant que la nature disparaisse

 

Que notre monde fait beaucoup de bruit sur l’état désastreux de la nature ne signifie pas pour autant qu’il la connaît et, encore moins, qu’il l’aime. Le plus probable est que ce bruit sert à camoufler le risque bien réel que nos vies soient stérilisées de tout rapport psychique, cognitif, poétique et spirituel avec la nature. C’est de ce rapport spécifiquement humain avec la nature que parle toute l’œuvre romanesque d’Adalbert Stifter (1805-1868). L’auteur de L’Arrière-saison n’est pas un inconnu. Mais c’est aujourd’hui qu’il faut le relire. Avant que la nature disparaisse. Ou, ce qui revient au même, avant que nous perdions notre nature humaine.
À l’intervalle, les livres nous attendent, dit François Taillandier dans sa chronique. Nous parlons de quelques-uns dans le reste de la matière. Apparemment, selon les signes du temps, notre sort est scellé. Nonobstant, selon les signes de la création, le miracle l’emporte toujours.


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Adalbert Stifter – avant que la nature disparaisse

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

Jean-YvesMasson, L’explorateur du continent humain
Eryck de Rubercy, De la lenteur
Denis Grozdanovitch, Le monde idyllique d’Adalbert Stifter
Claude Dourguin, Stifter ou la nécessité du chemin
Arnold Stadler, Mon Stifter, portrait d’un suicidé in spe
Françoise L’Homer-Lebleu, Adalbert Stifter tel qu’en ses lettres
Adalbert Stifter, Lettres
Joël Roussiez, Une dramaturgie sans drame ou le sens du tragique
Thomas Pavel, Le sourire de Stifter
Charles Brion, Les Grands Bois, une grande nouvelle d’avant la maturité
Reynald Lahanque, L’arrière-saison des amours
Lakis Proguidis, Regarde cette fleur !

Dates et œuvres

À la une : Yannick Roy

Critiques
Jacques Dewitte, La chose qui n’est pas – Gulliver au pays 
des Houyhnhnms
Riccardo Pineri, Le désenchantement des origines – Cesare Pavese et le mythe des mers du Sud
Baptiste Arrestier, Le détective et l’assassin – Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry
Raphaël Arteau Mcneil, L’avenir d’une certitude – California Dream, de Daniel D. Jacques

À la une : Trevor Cribben Merrill

Entretien
Patrice Jean – Lakis Proguidis, Jeu et vérité

À la une : Théo Ananissoh

Au fil des lectures
François Taillandier, Les livres nous attendent…

 


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Adalbert Stifter – avant que la nature disparaisse

 

 

Un numéro consacré à Adalbert Stifter (1805-1868) peut paraître surprenant, vu l’intérêt de L’Atelier du roman pour les romanciers qui ont profondément marqué l’histoire et l’art du roman. Natif de Bohême, pays qui faisait à l’époque partie de l’Empire autrichien, peintre et prosateur, avec plusieurs romans et recueils de nouvelles à son actif, Stifter est resté à l’écart des grands bouleversements artistiques et culturels qui ont commencé à secouer l’Europe au milieu du xixe siècle. Il est considéré, en général, comme l’un des précurseurs de l’esthétique Biedermeier, esthétique magnifiant les valeurs de la famille et de la vie campagnarde. Ce qui ne l’a pas empêché d’obtenir l’approbation de ses contemporains, ainsi que des grands écrivains de tous bords, de Nietzsche à Kafka et de Walser à Kundera.

Infinis remerciements à Eryck de Rubercy et Françoise L’Homer-Lebleu. Eryck de Rubercy a eu l’idée de cet hommage à Stifter. Et c’est grâce à Françoise L’Homer-Lebleu que nous publions, traduites et préfacées par elle, quelques lettres choisies dans la volumineuse correspondance de Stifter, inédite en France. Françoise L’Homer-Lebleu a aussi rédigé la notice biobibliographique, la plus complète en français, sur l’auteur de L’ Arrière-saison.

À la Une : ce qui est à la première page des journaux. Dans chaque numéro de L’Atelier du roman il y en a trois. Par trois fois nos chroniqueurs (ici, Yannick Roy, Trevor Cribben Merrill et Théo Ananissoh) commentent l’actualité romanesque qui, tel un grand fleuve tranquille, coule en dehors du temps en irriguant tous les continents.

Ce ne sont pas seulement quelques écrivains de renom qui apprécient Adalbert Stifter. En France, il continue à être édité et réédité. D’où vient donc cet intérêt pour une œuvre si opposée à notre monde et si étrangère aux canons littéraires en vogue? Qui sait? Peut-être, à moins cinq, le temps est-il venu de capter la voix qui émane des profondeurs de cette œuvre: la nature n’a pas besoin de protection mais d’amitié.

«Les livres nous attendent. Ils ont le temps», écrit François Taillandier dans son «Au fil des lectures». Les livres, certes. Mais, ayant inventé tant de machines pour gagner du temps, c’est nous qui risquons de ne plus en avoir pour lire.

Non sans fatuité, les Occidentaux disaient « la science » pour désigner la science moderne (ou la science expérimentale). Par là même, consciemment ou non, ils manifestaient leur mépris pour les savoirs qu’avaient élaborés les autres cultures. Mais leur science, en fait, était une science parmi d’autres, c’est-à-dire une institution historiquement datée et conçue pour satisfaire les aspirations et les besoins d’un certain type de société. Comment ont-ils pu oublier, en particulier, à quel point leurs méthodes et leurs stratégies cognitives étaient enracinées dans les pratiques techniques et industrielles?
Pierre Thuillier, La Grande Implosion, 1995.

Stifter n’a peut-être pas marqué l’histoire du roman. Ce qui est discutable. Mais il a marqué d’une manière inimitable l’histoire de l’humaine condition: l’homme qui ne s’émerveille pas devant un paysage est perdu tant pour la nature que pour la science.

Le divin hasard a voulu que nos pages «critiques» tournent autour des tentations qui hantent nos esprits: celle de l’art pour l’art (Au-dessus du volcan, de Malcolm Lowry, par Baptiste Arrestier), celle de la science pour la science (California dream, de Daniel D.
Jacques, par Raphaël Arteau McNeil), celle de l’utilitarisme intégral («Gulliver au pays des Houyhnhms», par Jacques Dewitte) et, comme pour conjurer ces maux, celle de l’exotisme («Cesare Pavese et le mythe des mers du Sud», par Riccardo Pineri).

«Jeu et vérité» s’intitule l’entretien avec Patrice Jean. Vérité. Pour ne pas laisser le jeu dominer. De toutes les tentations susmentionnées, la plus insidieuse est celle du ludique pour le ludique.

2023. Mars, François Ricard. Juin, le numéro inaugural du nouveau cycle des Rencontres annuelles de Thélème : « Lire et relire Rabelais ». Septembre, Jean-Jacques Sempé. Décembre, Leo Perutz.

De temps à autre je dois le répéter : les pages que nous consacrons à l’œuvre d’un romancier ne sont pas des « dossiers ». Il n’y a pas des discussions préalables pour découper l’œuvre concernée en « sujets » à traiter. Les écrivains sollicités – qu’ils soient tous remerciés – livrent leur lecture. Le but est le dialogue esthétique par articles interposés. Ayant choisi une œuvre romanesque comme basse continue, le but est de faire résonner un ensemble polyphonique.
L.P.

Couverture du n° 110 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 110

Déshumanité, de Julien Syrac: la recherche du réel perdu

 

Déshumanité est un essai littéraire. L’auteur, Julien Syrac, s’interroge sur ce qui a conduit l’écrasante majorité de gens à accepter passivement les mesures restrictives prises durant l’année 2020 contre le covid, des mesures souvent contradictoires. En s’appuyant surtout sur les grands moralistes et les grands romanciers, Julien Syrac avance l’idée que cette passivité était pour ainsi dire à prévoir. Depuis environ deux siècles, dit-il, notre civilisation poursuit sans faute le chemin de l’abstraction, des projets sociaux enchanteurs conçus in vitro, et des utopies «scientifiques» au détriment de la réalité. C’est alors ainsi que le jour du covid l’humaine condition cède devant les statistiques et l’intelligence commune devant les algorithmes.
Au risque de l’étourdissement général sous l’emprise de l’abstraction, nous répondons, depuis la fondation de L’Atelier, par le dialogue. Ici, ce dialogue se réalise sous la forme d’un commentaire polyphonique du livre de Julien Syrac, d’une ouverture vers la poésie et la musique, des découvertes (Lutz Seiler, Hiroko Oyamada) et des rappels salutaires (Jack-Alain Léger, Pier Paolo Pasolini, Faulkner, Dumas et Octave Mirbeau).


SOMMAIRE

Couverture du n° 110 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 110

Déshumanité, de Julien Syrac: la recherche du réel perdu

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

Pierre Saïet, Une si juste colère
Thierry Gillybœuf, Généalogie du regard
Marion Messina, Déshumanité : le journal de la désintégration
Charles-Gaby Max, Le point Syrac
Raphaël Arteau mcneil, En attendant le roman
Alexandre marchadier, XIX 2.0
Jérôme Couillerot, Full contact
Patrice Jean, Vis comica
Slobodan Despot, Le pari du parking
Baptiste Arrestier, Un pendu peut-il éclairer ? – À la recherche d’une approche réaliste
Guillaume Narguet, Éloge de la longueur
Lakis Proguidis, Le livre de l’amitié et de la liberté

À la une : Yves Lepesqueur

Critiques
Morgan Sportès, Le dernier blues de Jack-Alain Léger
Massimo Rizzante, Pier Paolo Pasolini – Une rencontre où la littérature ne suffit pas
Jacques Dewitte, Janáček et la polyphonie des émotions
– Milan Kundera, critique musical
Jean-Yves Masson, Lutz Seiler : La réunification allemande au miroir du roman
Raphaël Arteau Mcneil, Travailler ? – L’Usine, de Hiroko Oyamada

À la une : Boniface Mongo-Mboussa

De près et de loin
Olivier Maillart, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains
Fernando Arrabal, Comme des étincelles

À la une : Marion Messina

Au fil des lectures
Benoît Duteurtre, Au fil des lectures (et autres considérations…)

 


OUVERTURE

Couverture du n° 110 de L'Atelier du RomanL'Atelier du Roman n° 110

Déshumanité, de Julien Syrac: la recherche du réel perdu

 

 

À la mémoire de Jean-Jacques Sempé (1932-2022).

Quelqu’un devait s’arrêter et réfléchir sur ce qui se passe autour de nous et à l’intérieur de nous depuis deux ans et demi. C’est chose faite : Déshumanité, de Julien Syrac. Avec un sous-titre pour bien situer la chose: «Approche historique de l’an de disgrâce 2020». Difficile de ne pas se rendre compte que Déshumanité concerne notre vie en régime covidien.

Il y a quelques années, François Ricard commentait ironiquement le fait que certaines universités canadiennes supprimaient au début des années 2000 leurs départements de théologie et de philosophie pour «manque d’effectifs» (sic). S’il était encore vivant, il serait ravi d’apprendre que les départements des «humanités digitales» (re-sic) commencent à proliférer dans nos anciens temples du savoir. Donc, rien n’est perdu; il aurait fallu y penser: Théologie digitale, Philosophie digitale, Renaissance digitale et ainsi de suite jusqu’à la Géographie et la Préhistoire. Merci messieurs les Digitalistes.

«Approche historique». Depuis grosso modo deux siècles, écrit Julien Syrac, nous nous approchons, nous les Occidentaux, du point de rupture avec la sensation de la réalité. Au bénéfice de l’Abstraction. Au bénéfice de l’idée qu’un jour les mondes rêvés, utopiques, virtuels (mondes susceptibles de s’améliorer à l’infini) iront se substituer à l’homme réel (mauvais et toxique d’après les spécialistes en la matière).

Selon le grand Bergson, le rire jaillit quand on plaque le mécanique sur le vivant. Pourtant, je n’ai jamais vu quelqu’un s’esclaffer devant tous ces gens qui circulent de nos jours masqués, casqués et branchés. Se peut-il que le philosophe se soit trompé? Je ne le pense pas. Tout est question de dosage. Bergson a vécu à une époque où on consommait encore du mécanique avec modération. Nous, nous en sommes à plaquer le vivant sur le mécanique. Et, apparemment, il n’y a personne pour s’amuser avec cette nouvelle donne.

Le parcours de l’Abstraction tracé dans Déshumanité est doublé des avertissements des grands romanciers auxquels l’auteur se réfère constamment. Raison supplémentaire pour que L’Atelier du roman choisisse de présenter et de commenter à plusieurs voix ce livre – dont la parution nous a été signalée par Thierry Gillybœuf, que nous tenons à remercier. Julien Syrac intègre dans la réflexion critique l’art du roman comme une voie de connaissance unique et irremplaçable. Sans omettre de tirer profit de deux qualités majeures de cet art: le scepticisme et l’humour.

Notre thèse est que l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert.<br /> Karl Polanyí, La Grande Transformation, 1944.

La déshumanité n’est pas le contraire de l’humanité. C’est le chemin qui conduit de l’humain au post-humain. Ne nous hâtons pas pour arriver au bout. Sur ce chemin, il y a tant de choses étranges à observer calmement, attentivement et toujours en s’amusant. Comme, par exemple, le monde éditorial (Morgan Sportès), une usine de notre temps (Raphaël Arteau McNeil), certains de nos contemporains (Olivier Maillart) ou, encore, notre chère Europe (Benoît Duteurtre).

Rencontres de Thélème. À partir de cette année, après huit Rencontres sur la liberté, nous inaugurons un nouveau cycle thématique: «Lire et relire Rabelais». Le court texte explicatif figure à la fin du volume.

Sur le chemin susmentionné, il nous arrive toujours des rencontres inoubliables, mirifiques comme celle de Jean-Yves Masson (Seiler), Massimo Rizzante (Pier Paolo Pasolini), Boniface Mongo-Mboussa (Faulkner), Marion Messina (Les Trois Mousquetaires) et Fernando Arrabal (la «mère» Mercedes).

Contre les covids, de la poésie (Yves Lepesqueur) et de la musique (Jacques Dewitte) trois fois par jour, matin, midi et soir, avant et après les repas. Et le rire de Sempé toute la journée – et pour toujours.
L.P.